Parce que l’équipe des Écrans Terribles a toujours pris son temps, et que le sujet délicat des tops de fin d’année a une nouvelle fois été source de débats vifs et passionnants, voici donc un petit florilège de tops et de réflexions autour de l’an 2023.

Auguste Calvet

1. Anatomie d’une Chute de Justine Triet
2. The Fabelmans de Steven Spielberg
3. Little Girl Blue de Mona Achache
4. Toute la Beauté et le Sang versé de Laura Poitras
5. Le Règne Animal de Thomas Cailley
6. La Passion de Dodin Bouffant de Tran Anh Hung
7. Showing Up de Kelly Reichardt
8. La Chimère d’Alice Rohrwacher
9. Venez voir de Jonas Trueba
10. Désordres de Cyril Schaüblin

Lucie Dachary

Les derniers jours de 2023 s’écoulent, l’heure du bilan a sonné. Comme chaque année, c’est un véritable casse-tête de coucher sur le Google Doc le titre de dix longs métrages qui pourraient incarner la substantifique moelle de l’année, car les quelque 365 jours de celle-ci ont été l’occasion de multiples sorties cinéma, parmi lesquelles certains films inoubliables. Une année riche, diverse, pleine de fulgurances. La prédominance du cinéma français est notable avec des films de procès qui ont fait du bruit, (Anatomie d’une Chute de Justine Triet, Le Procès Goldman de Cédric Kahn), perpétuant le genre tout en le renouvelant et le complexifiant avec des réflexions contemporaines. Il en va de même du cinéma de genre à la française avec des réalisateurs de talent comme Thomas Cailley ou Stephan Castang. Des premiers films ont crevé l’écran, il me paraît nécessaire de les citer ici : Le Ravissement d’Itis Kaltenbäck, Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand, How to have sex de Molly Manning Walker, War Pony de Riley Keough ou encore The Quiet Girl de Colm Bairéad. Maniant la caméra depuis plus longtemps, de grands noms du cinéma ont soigné leur retour, et on les en remercie ! Scorsese, Spielberg, Bellocchio, Wenders, Kore-Eda… Le documentaire n’est quant à lui pas en reste et il nous a offert des fenêtres de réflexion, de la beauté et de l’humanité grâce à Laura Poitras ou Nicolas Philibert, et l’animation nous a permis un voyage intergalactique avec l’inattendu Mars Express de Jérémie Périn. Un cinéma plein de vitalité, de la France au Japon, en passant par la Finlande ou les États-Unis. 

1. Anatomie d’une Chute de Justine Triet
2. Les Feuilles Mortes d’Aki Kaürismaki
3. Le Règne Animal de Thomas Cailley
4. The Fabelmans de Steven Spielberg
5. Yannick de Quentin Dupieux
6. L’Innocence de Hirokazu Kore-Eda
7. La Main de Danny et Michael Philippou
8. Killers of the Flower Moon de Martin Scorsese
9. Toute la Beauté et le Sang Versé de Laura Poitras
10. Perfect Days de Wim Wenders

Mention spéciale pour De Humani Corporis Fabrica, un documentaire qui m’a ébranlée.

Camille Griner

Top Films

1. Anatomie d’une Chute de Justine Triet
2. Chien de la Casse de Jean-Baptiste Durand
3. Dream Scenario de Kristoffer Borgli
4. War Pony de Gina Gammell & Riley Keough
5. Sick Of Myself de Kristoffer Borgli
6. Le Règne Animal de Thomas Cailley
7. Tár de Todd Field
8. La Femme de Tchaïkovski de Kirill Serebrennikov
9. Simple Comme Sylvain de Monia Chokri
10. Pearl de Ti West

Top Séries

1. The Bear (Saison 2) de Christopher Storer I Hulu
2. La Nuit où Laurier Gaudreault s’est Réveillé de Xavier Dolan I Canal +
3. Makanai : Dans la Cuisine des Maiko de Hirokazu Kore-Eda I Netflix
4. Anatomie d’un Divorce de Taffy Brodesser-Akner I FX Networks 
5. The Last Of Us (Saison 1) de Neil Druckmann & Craig Mazin I HBO
6. Polar Park de Gérald Hustache-Mathieu I Arte
7. Love & Death de David E. Kelley I HBO Max
8. Un Meurtre au bout du Monde de Brit Marling & Zal Batmanglij I FX Networks
9. Somewhere Boy de Pete Jackson I Channel 4
10. Your Honor (Saison 2) de Peter Moffat I Showtime

Julien Savès

Top Films

Beau Is Afraid d’Ari Aster
Chien de la Casse de Jean-Baptiste Durand
Dernière nuit à Milan d’Andrea Di Stefano
The Fabelmans de Steven Spielberg
Misanthrope de Damián Szifron
Oppenheimer de Christopher Nolan
Le Règne Animal de Thomas Cailley
Le Vourdalak d’Adrien Beau
Yannick de Quentin Dupieux

Top Séries

Succession (Saison 4) de Jesse Armstrong I HBO
The Bear (Saison 2) de Christopher Storer I Hulu
Slow Horses (Saison 3) de Will Smith I Apple TV+
Fauda (Saison 4) de Lior Raz & Avi Issacharoff I yes
What We Do In The Shadows (Saison 5) de Jemaine Clement I FX Networks

Adrien Van Noort 

1. Simple comme Sylvain de Monia Chokri
2. Anatomie d’une chute de Justine Triet
3. Beau is afraid de Ari Aster
4. Past Lives de Celine Song
5. Killers of the Flower Moon de Martin Scorsese
6. Je verrai toujours vos visages de Jeanne Herry
7. Tár de Todd Haynes
8. Retour à Séoul de Davy Chou
9. Marchand de Sable de Steve Achiepo
10. La Main de Danny & Michael Philippou

L’année fût difficile. Entre les tensions politiques, les pertes des acquis sociaux et l’ambiance mortifère au sein de l’industrie cinématographique, 2023 tient davantage du naufrage que d’une croisière. A tel point que j’ai longuement hésité à ajouter mon lit dans ma liste cette année. Mais force est de constater que le cinéma comme les séries ont été au moins stimulantes, en tout cas plus que mon sommier. 2022 a été traversée par un constat général concernant l’asymétrie des relations hommes-femmes. La Nuit du 12 de Dominik Moll, Les Nuits de Mashhad de Ali Abbasi, Red Rocket de Sean Baker et Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson, pour ne citer qu’eux, tenaient cette observation depuis le banc masculin oscillant entre un regard tendre et glacial. Cette année semble rebondir sur la précédente avec un axe différent. Anatomie d’une chute de Justine Triet, Tár de Todd Haynes, Simple comme Sylvain de Monia Chokri et dans une certaine mesure Je verrai toujours vos visages de Jeanne Herry, imposent des personnages féminins singuliers avec, dans cette sélection, toute une gamme de personnages allant des tortionnaires les plus antipathiques aux victimes les plus pathétiques.

Dans cette liste, rien n’est simple (même Sylvain). Pas plus la cause de la mort froide de Samuel dans Anatomie d’une Chute que sa relation amoureuse avec Sandra, faite de tensions, de jeux de pouvoirs banals du quotidien, et de commentaires passifs agressifs (caractéristiques qui jalonnent par ailleurs la carrière brillante de Triet, véritable révélation pour moi cette année, peut-être même plus que son film) que la brutalité rêche, manipulatrice et, il faut l’admettre, masculiniste de Lydia Tár. Tout est une question de point de vue, qu’on a démultiplié, décuplé, comme autant de miroirs dans un tube kaléidoscope. Pas pour en dresser des portraits complexes nihilistes, mais pour ouvrir des champs de réflexions sur les dominations masculines et bourgeoises avec des cadres pour rendre l’intelligible intelligent.

Les autres films choisis ne m’ont pas nécessairement marqué au premier visionnage. La Main, Beau Is Afraid et Retour à Séoul semblent mineurs, mais ont planté des graines dans ma tête. Et ça pousse, sous forme de roses comme de mauvaises herbes. Que ce soit, respectivement, l’image d’une adolescente en quête d’identité possédée par une fétichiste des pieds suintant les viles intentions, un procès sur une barque au milieu d’une arène inondée, où le visage contrit d’une adoptée déçue des retrouvailles avec sa famille biologique qu’elle trouve terrifiante. Ce n’est pas faute d’avoir été un poil agacé par les faiblesses scénaristiques du premier, l’impertinence de faillance du second et la froideur du  personnage principal pour le dernier. Et pourtant, les trois m’ont touché et m’accompagnent au quotidien.

Ces films, imparfaits, fourmillent d’expérimentations scénaristiques et de mises en scènes parfois trop tape à l’œil. A l’inverse, des œuvres comme Marchand de Sable et Killers of the Flower Moon, misent tout sur une certaine sobriété, une mise en scène classique qui cache de puissants effets de styles. Et tout reposent sur les compositions de cadres et l‘incarnation des acteurs pour faire émerger des réflexions sur des sujets politiques rudes, mais inévitables. On oublie parfois que le cinéma a aussi ce pouvoir-là. Montrer, avec simplicité, comment la violence légitime s’abat en toute impunité.

Crédits Photo : Anatomie d’une Chute © Justine Triet.