Séries Mania 2024 : Notre bilan de la Compétition Internationale
Au crépuscule de cette édition 2024, huit séries étaient en compétition sous l’égide aiguisée du président du jury Zal Batmanglij, créateur de The OA. Le triomphe de Rematch, sacrée meilleure série, offre une nouvelle victoire franco-allemande à Arte. Mais que retenir de toutes ces propositions très singulières souvent un peu mornes de la Compétition Internationale ?
Retour aux fondamentaux avec les huit séries sélectionnées dans cette compétition internationale (au lieu de neuf en 2023), surtout en matière de représentation après la victoire de la série iranienne The Actor l’an passé (logiquement visible sur Arte avant la fin de cette saison). Du scandinave, du français, du britannique, de l’amerloque et des genres bien balisés en pitchs : un biopic musical, une série politique, un narco thriller et une série teenage dans un lycée british. Y a-t-il des futurs incontournables au sein de ce « huitette » ? Revue de détail, du plus au moins remarquable.
L’Australienne House Of Gods dépareille en des temps où l’islamophobie a de plus en plus droit de cité dans les médias occidentaux et leurs représentants les plus réactionnaires dans l’éditocratie. La série dépeint une lutte de pouvoir qui débouche sur un petit précis de communication politique dès ses débuts après un selfie malheureux entre le cheikh Mohammed (Kamel El Basha, couronné à Venise pour sa performance dans L’Insulte de Ziad Doueiri) et une ado australienne ébahie de voir un homme en turban dans les rues de Sydney. En découlent des dissensions familiales internes, avec un fils gestionnaire d’une station de lavage auto, Isa (Osamah Sami, également co-créateur) qui prend des initiatives dans le dos de son père. Face aux positions fermes d’une frange plus conservatrice de la communauté, House of Gods met beaucoup de pincettes et de cœur à expliquer les rouages et acteurs du microcosme à un public profane. Surtout, il met en avant des sujets fâcheux, traités sous l’angle intime, de l’avancée des femmes dans un milieu très masculin à travers le personnage de la fille de Mohamed, Batul (Maia Abbas), qui arrive à obtenir une assise éminemment politique au nez de son frère dans le deuxième épisode. Alliage entre tensions intracommunautaires et relations familiales attachantes et profondément aimantes, les co-créateurs de House Of Gods jurent avoir des centaines d’histoires en tête. On n’a aucun mal à les croire. Si la description autoproclamée de Succession dans une mosquée est un leurre honteux – on cherche pas la bagarre, vraiment on cherche le rapport –, la série offre un meilleur aperçu du drame élégant, cérébral et à tiroirs tels que les networks américains savaient encore le produire il y a 20 ans.
Une rare standing ovation au Nouveau Siècle pour les deux premiers épisodes de Boarders, nouvelle production de la BBC Three (le France 4 de la perfide Albion), suivant l’intégration difficile de cinq adolescents noirs issus des quartiers Sud de Londres au sein d’une prestigieuse institution fictive dite St. Gilbert. Une initiative d’inclusion destinée à se refaire une image après une vidéo virale d’un groupe d’élèves agressant un SDF. La série et son créateur Daniel Lawrence Taylor se délectent de l’engagement politique de façade donné à ce programme de diversité à travers les responsables dudit programme, intrusives et gênantes. Mais au-delà de délaisser une écriture de sketch préjudiciable, Boarders se fait un plaisir de lancer un défi à son quintette plein de charisme : remettre en cause les perceptions des autres et des cases qu’on souhaite leurs mettre pour réussir à s’accomplir. Agréable torsion des us et coutumes des séries ado’, aussi franche du collier qu’une série de 2024 peut l’être, Boarders est un produit final d’une efficacité létale, emballée par Studio Lambert, mirifique compagnie de production plus connue pour ses formats de téléréalité comme The Circle. Sans doute la série la plus accessible et grand public de la sélection, un bol d’air frais comparé au reste.
Si la fraîcheur des visages est aussi l’apanage de la Norvégienne So Long, Marianne (coproduction avec le Canada), avec un dénommé Alex Wolff mais surtout l’incroyable Thea Sofie Loch Naess (ndr : rien à voir, monstre unique), le sujet rejoint les projets bien balisés d’artistes légendaires au sein de cadres de villégiatures paradisiaques. Un sillon déjà bien creusé avec, entre autres, Bergman Island au cinéma, qui prend ici le chemin de traverse pour raconter les débuts de Leonard Cohen, avant son premier album. Contant le départ d’un Cohen depuis son monochrome Montréal (littéralement : les séquences sont en noir et blanc) pour l’île de Hydra en Grèce, il va faire la connaissance d’une congrégation d’écrivains et artistes plus ou moins torturés. Dont l’écrivain australien George Johnston (Noah Taylor) et sa femme Charmian Clift (la toujours impeccable Anna Torv de Fringe), mais aussi un couple norvégien dont la fameuse Marianne, alors dans une relation très toxique avec Axel, brindille d’écrivain dépressif et fuyard. Les minaudements de Wolff en Cohen peuvent laisser de marbre, mais la série tire le meilleur de ses interprètes et de ses salades grecques mélancoliques, tout en faisant un clin d’œil aux ambitions éminemment commerciales du genre : la série débute par des notes de Hallelujah, « juste pour capter votre attention » sourit la voix-off du Cohen de fiction. Rock’n’roll is not dead.
Autre coproduction initiée par la France et Arte avec des partenaires divers, créée par le canadien Yan England (tête connue de la télé québécoise comme acteur) et le producteur Bruno Nahon, Rematch, tournée en anglais, fictionnalise les rencontres au sommet du milieu des années 1990 entre le champion d’échecs Garry Kasparov (Christian Cooke) et Big Blue, intelligence artificielle passée fleuron d’innovation d’IBM, qui va en faire son fer de lance de communication corporate. Modeste dans sa présentation, adoptant quelques idées discrètes mais efficaces – un Kasparov turbinant pour visualiser toutes les possibilités de coup dans l’échiquier -, la série développe quelques personnages de l’ombre, dont un ingénieur d’IBM qui va essayer de débugger et améliorer le programme entre les deux rencontres et le fameux « Rematch » après une défaite de l’ordinateur. Pour ce faire, il va embaucher Paul Nelson, ancien adversaire de Kasparov (Aidan Quinn), qui va tenter d’utiliser ce job de consultant pour prendre une revanche indirecte. Il n’empêche qu’à trop vouloir faire avancer son intrigue à travers le temps, d’entraînements en parties jouées, Rematch en oublie ses personnages secondaires, qui deviennent inexistants ou caricaturaux, à l’instar de cette représentante d’IBM ambitieuse jusqu’aux dents, reflet d’une corporation nihiliste prête à tout pour arriver à ses fins et faire briller son image. Rematch se regarde comme un docu-fiction qui aurait écarté ses segments documentaires.
Dans L’Ombre, créée par Pierre Schoeller (habitué de l’exercice politique avec L’Exercice de l’État en 2011 au cinéma), est une adaptation du roman de l’ex-premier ministre (et Sorkin Hive avoué) Edouard Philippe. Chronique d’une droite qui se déchire, située trois minutes dans le futur (on débute en décembre 2024 pour la primaire d’un parti de droite fictif), la série suit les équipes stratégiques du candidat vainqueur, Paul Francoeur (Melvil Poupaud), et du vif et carnassier conseiller comm’ de l’ombre, incarné par Swann Arlaud (Anatomie d’Une Chute, si vous traînez sur X/Twitter vous devez voir qui il joue). Avec une réalisation qui prend le parti du dynamisme, empruntant sa charte visuelle aux séries suédoises et danoises, dont Borgen, elle se love dans des joutes verbales qui ne sacrifient pas la théâtralité de l’ensemble. Le sujet principal étant une possible fraude électorale à travers des votes électroniques truqués pour la primaire ; mais elle n’hésite pas à montrer les errements et bas calculs de la communication politique dans des sujets éminemment prisés par la droite, comme le mal-être des policiers et policières. Un traitement un peu trop timoré, si l’on assume que Dans L’Ombre fait fi de véritables ténors de la droite à la rhétorique bien plus populiste et démago, ce qui n’est pas nécessairement le cas de votre serviteur. Un jeu de miroirs imparfait mais une tentative honnête de série politique en attendant la prochaine dans 10 ans sur le service public (Les Hommes de l’Ombre c’était déjà en 2012) ?
Un peu plus risqué : le thriller financier allemand Herrhausen – The Banker and The Bomb, autour de la tentative risquée du président de la Deutsche Bank, Alfred Herrhausen, de moderniser la banque en ouvrant les tractations avec l’URSS de Gorbatchev et d’ouvrir les marchés du tiers-Monde en annulant la dette. Ce qui le met dans le viseur de la CIA, de la Fraction Armée Rouge et aussi de sa propre hiérarchie, qui veulent sa tête. Tentative de portrait d’un libéralisme humaniste pré-mondialisé appartenant littéralement à un autre siècle, Herrhausen se prend souvent les pieds dans le tapis en tentant d’embellir l’image de son personnage principal. Notamment lorsqu’il emmène une femme au conseil d’administration sous les quolibets du reste de ses membres, ou encore lorsqu’il suit les membres de la RAF à Damas pour se procurer des bombes, renvoyant dos à dos business agnostique dans les salons feutrés de l’ère Helmut Kohl, faisant fi de la sécurité privée constante, et militantisme terroriste qui finirait par avoir la peau dudit Herrhausen dans un assassinat en 1989. On a connu des créations moins ampoulées et naïves.
Grève oblige, les productions américaines ont été très peu proposées à l’équipe de Séries Mania. On peut s’aventurer à dire que la présence de Hotel Cocaine de MGM+ tient à la présence à Lille de Chris Brancato, vétéran de la télé US plus connu pour la série Narcos de Netflix. Hélas, malgré la présence de Michael Chiklis et une moustache épique dans le rôle d’un agent narco de la DEA nihiliste et manipulateur, les deux premiers épisodes enchaînent les faux pas dans un cadre du Miami disco de la fin des 70’s chic et toc. Les intentions sont claires : un duo d’immigrants cubains en Floride, traumatisés par l’ère castriste, l’un choisissant la voie plus légale des hôtels et cabarets pour jet-setteurs où chacun peut s’adonner à la prise illimitée de substances de choix ; l’autre converti en parrain de la drogue dont l’empire menace de s’écrouler d’une seconde à l’autre. Un motif de frères ennemis ni fait ni à faire, surtout lorsque l’un est incarné par Danny Pino (oui, de Cold Case) et l’autre par Yul Vazquez, Pablo Escobar sorti d’un sketch du Palmashow. Trame balisée de clichés, personnages féminins honteux, entre la confidente du club, elle-même rescapée d’une relation toxique et une ado naïve pour qui le héros va se rabibocher avec son narcotrafiquant de frère : Hotel Cocaine sert de bouche-trou complaisant et vaguement lié à de vraies figures de Miami. La série menace de devenir intéressante avec le tenancier de l’hôtel, mouton noir de la famille adepte de la méditation et des trips, et ses échanges barrés avec Hunter S. Thompson (!). Trop peu pour distinguer ce soap confectionné le nez dans la farine (ndr : métaphore boulangère).
Par charité, on ne dira que quelques mots de l’autre import américain (tourné en Australie) de la sélection, Apples Never Fall. Tiré d’un roman de l’autrice de Big Little Lies, Liane Moriarty, la série compte un casting aussi prestigieux qu’une série HBO, avec Sam Neill, Alison Brie, Jake Lacy et Annette Bening, repartie avec un Prix d’Honneur pour l’ensemble de sa carrière à l’écran. Pardon, je voulais dire : repartie avec le Prix de la Meilleure Actrice de la compétition. L’intrigue cause d’une mamie et d’un papi gérants une académie de tennis, fraîchement retraités, et aux relations plutôt froides avec leurs quatre enfants dans une dynamique familiale que l’on qualifie avec retenue d’ « amour vache ». Lorsque la mamie (Annette Bening) disparaît après avoir acheté des pommes au supermarché (rapport au titre, parce que les pommes sont tombées sur le bitume lorsqu’on voit le vélo à terre, du sang sur la courroie), ses enfants multiplient les soupçons. Et le public est amené à porter ses soupçons sur une mystérieuse jeune femme, réfugiée d’un soir après une dispute de couple. Apples Never Fall se veut un jeu de massacre sur une famille dysfonctionnelle « avec de la violence en elle », selon une des remarques imbitables des dialogues. Elle nous encourage à ne pas se fier aux apparences et à ne faire confiance à personne, ce qui fonctionne : on n’a aucune confiance en la qualité ou les instincts narratifs des deux premiers épisodes. Et c’est bien dommage.
On ne saurait que trop conseiller aux diffuseurs français de se pencher sur House of Gods et Boarders et de leur donner l’exposition qu’elles méritent. Malheureusement, cette sélection 2024, comme souvent, est largement battue à plate couture par les sélections du panorama international… Jusqu’à l’année prochaine ?
Crédits Photo : Dans l’Ombre © Deuxième Ligne Films/Elzévir/France Télévisions.