RAMY Saison 1 : Halal life
2019 rime avec l’explosion d’un genre qui s’est peu à peu imposé : la dramédie qui consiste à proposer une série humoristique tout en gardant un aspect sombre. Barry, la série de Bill Hader sur la chaîne HBO est incontestablement la grande réussite de cette année. Mais d’autres petites créations du même genre diffusées sur des chaînes plus modestes, avec une écriture tout aussi ambitieuse, ont fait elles aussi leur apparition.
Ramy, la série créée par Ramy Youssef, star en devenir du stand-up new-yorkais, est arrivée sur le network Hulu un peu à la surprise générale. Elle raconte la difficile intégration d’un presque trentenaire, Égyptien d’origine mais surtout musulman. La série creuse à travers des sujets de société ou des événements historiques, l’état de la religion islamique dans un pays occidental comme les Etats-Unis. Ce thème explosif est traité à travers la dérision et permet de mettre en avant plusieurs questionnements. Comment vit-on sa foi en affrontant la discrimination, la tentation dans des formes diverses ? Comment gère-t-on les relations familiales, amicales alors qu’on lutte déjà contre soi-même ? Quel cheminement nous mène à l’envie d’être un meilleur musulman dans un pays hostile historiquement à l’Islam ?
En quête de sens
Ramy en apparence ne subit pas vraiment cette défiance de la société américaine. La vingtaine, employé dans une start-up, des Air Max aux pieds, ce jeune hipster semble plutôt à l’abri. Cependant, à l’approche de la trentaine, Ramy est confronté à une crise de foi. Ramy Youssef montre avec justesse la pression des parents pour le mariage, la nécessité de quitter le cocon familial pour devenir un homme. Néanmoins, l’envie d’être un meilleur musulman prend le dessus sur tous les aspects de sa vie au point de devenir une vraie obsession pour le personnage. A travers les 10 épisode de cette saison 1, on assiste à ses nouvelles résolutions ; sa détermination à être plus assidu à la prière, celle de faire le ramadan entièrement pour la première fois de sa vie et surtout celle de trouver une femme musulmane. Il est évident qu’un non-musulman n’aurait pas eu l’idée de parler de ces sujets. Il faut un minimum d’implication pour comprendre combien ces choix sont primordiaux pour un concerné. Avec l’utilisation judicieuse de ces sujets, Ramy Youssef choisit avec émotion de montrer la frontière poreuse entre la foi et le doute. Sentiment intime qui habite chaque musulman à un moment de sa vie.
On prend un malin plaisir à le voir se heurter à ses résolutions. Être un bon musulman est une chose mais devoir affronter les barrières psychologiques bien ancrées dans la société occidentale en est une autre. Vivre sa foi est un sujet important qui est ici exploité avec subtilité. On a parfois l’impression que le réalisateur raconte tout simplement le cheminement qui l’a mené à écrire une série qui reflète sa vie (souvent) tourmentée. La nouveauté de la religion musulmane pour les Américains est montrée à travers plusieurs scènes cocasses qui révèlent à quel point des choses banales pour un musulman – comme faire 5 fois la prière par jour ou ne pas avoir de rapports sexuels pendant le ramadan – deviennent des concepts incompréhensibles au regard des non-musulmans de la série. La sidération dans leurs regards est systématiquement très drôle.
Notre belle famille
Le New-Yorkais d’origine aurait pu s’arrêter à une réflexion profonde sur la foi centrée sur le personnage principal mais on sent très vite l’envie de s’intéresser également aux diverses personnalités qui composent sa famille loin d’être parfaite. Il dédie, par exemple, un épisode à Maysa, la mère de Ramy elle aussi en pleine crise existentielle mais pour d’autres raisons. Il montre l’abandon d’une mère de famille, qui décide du jour d’oublier ses problèmes existentiels pour travailler en tant qu’auto-entrepreneuse, elle qui est femme au foyer depuis la naissance de ses enfants. Il choisit également de dévoiler l’exotisme malsain véhiculé par l’homme blanc pour la femme arabe à travers un excellent épisode centré sur Dena, la soeur du personnage principal en lutte constante avec les nombreux stéréotypes matraqués dans cette série en grande partie par l’oncle de la famille. Personnage hilarant et encombrant, oncle Naseem est antisémite jusqu’à la moelle, misogyne dans sa forme la plus extrême. Ces défauts amènent des scènes drôles surtout avec Dena, bien décidée à affronter cet oncle un peu trop interventionniste. Tous ces problèmes sont connus dans la communauté musulmane. C’est la première fois qu’ils sont exposés avec autant de réalisme dans une série. Les scènes sont pour la plupart percutantes avec un but clair : installer une réflexion profonde chez le téléspectateur mais sans oublier cet humour noir savoureux qui fait le sel de Ramy.
Un regard dans le rétro
Le moment majeur de cette saison 1 est un exceptionnel épisode flashback qui se déroule le jour des attentats du 11 Septembre 2011 à New-York. Avant cette date sinistre, le musulman lambda vivait sa vie sans que ça ne soulève de soupçon. Cet événement a tout changé pour les musulmans américains voire du monde entier. Un coming of age ponctuel qui raconte cette journée particulière à travers Ramy âgé d’une dizaine années. Retranscrire ce sentiment à travers des images ne peut qu’être exprimé par une personne l’ayant vécu. Et on ressent la sidération du jeune Ramy à travers son regard rempli de peur. Ne rien comprendre à une situation mène à faire des choses absurdes pour se faire accepter même quand on n’a rien à se reprocher. Le voir affronter cette méfiance nouvelle et son racisme primaire est à la fois touchant et drôle. Les prétextes exposés pour montrer à ses jeunes amis suspicieux qu’il est bien l’un des leurs s’avèrent tellement grotesques qu’on suit cette quête avec un plaisir coupable.
La saison 1 se termine par un retour aux racines inévitable pour le jeune new-yorkais : conscient que le monde occidental l’empêchera d’être le musulman idéal, il prend la décision de retourner dans son pays d’origine. Ce voyage va créer une sorte de choc des cultures. Il fera la rencontre d’un cousin, caricature du new-yorkais trahi par son utilisation incessante du N-Word, terme extrêmement péjoratif et interdit pour un non-noir aux Etats-Unis. La popularité de ce mot sensible a été possible à cause des rappeurs américains et l’ont rendu cool avec une utilisation un peu trop prononcée. Il souhaite lui montrer le monde nocturne du Caire et prouver que les Égyptiens savent aussi faire la fête mais cette façade cache un traumatisme qui touche une génération de jeunes en manque de repère. Depuis les événements de la Place Al Tahrir symbole de la révolution égyptienne, la jeunesse locale est en proie à une violence quotidienne qu’elle essaie d’oublier en faisant la fête. Ce voyage permet de mettre en perspective les soucis rencontrés par Ramy depuis le début de la saison. Il se rend très vite compte que tout ce qu’il affronte dans sa ville natale n’est absolument pas comparable avec ce que la jeunesse égyptienne doit encaisser. Une façon de redescendre sur terre.
Ramy est une série importante au niveau symbolique. Qu’un musulman raconte sa vie change tout sur la portée du message. On a trop souvent eu l’habitude de voir des choses hors du commun quand un musulman était dans le casting d’une série ou d’un film. Il est assez frappant de voir avec quelle précision il arrive à exposer ses idées tout au long de cette magistrale saison 1. On sent un vécu indéniable qui rend la série très réaliste malgré des scènes grand-guignolesques. Ramy donne le sentiment qu’il est temps de donner pleinement leur chance aux minorités. Cette évolution naturelle sera inévitable pour le monde de la télévision. Il suffit de voir toutes les tentatives de séries qui sont tombées à l’eau dès qu’elles concernent des musulmans à cause d’une méconnaissance criante du sujet. La série a déjà été renouvelée grâce à ce succès immédiat. Mahershala Ali, acteur superstar oscarisé grâce au film Moonlight (ne citons pas Green Book) et surtout musulman, sera le guest de la saison 2. C’est la continuation d’un entre-soi assumé qui permettra sans aucun doute de creuser d’autres sujets importants tels que vivre la religion musulmane tout en étant un Afro-Américain converti. L’importance du réalisme sera encore plus prononcé avec sa présence. Tous ces enjeux rendent la série essentielle dans cette période trouble où la religion musulmane sert surtout de bouc émissaire dans la plupart des débats de société. Il est marquant de voir un cast presque entièrement musulman dans une série. Salvateur surtout pour toutes ces nouvelles histoires qu’on ne voit presque jamais à l’écran. L’avenir des séries ne fera pas sans les minorités.
Ramy. Une série de Ramy Youssef, Ari Katcher, Ryan Welch. Avec Ramy Youssef, Mohammed Amer, David Merheje… 10 épisodes. Production : Hulu. 2019.
Crédits photographiques : Hulu