MICHEL BLANC : “La comédie n’est pas un art mineur”
Acteur et réalisateur parmi les plus populaires de sa génération, Michel Blanc demeure un des piliers de la comédie française. Ses débuts avec la troupe du Splendid et le succès fulgurant de leur pièce Amour, Coquillages et Crustacées (qui deviendra le film Les Bronzés) l’ont propulsé très rapidement avec ses camarades au rang de célébrité, lui et sa moustache dont il a mis du temps à se débarrasser.
Lors des projections au festival CineComedies, le public n’a pas manqué de lui témoigner sa gratitude et sa sympathie. J’ai donc voulu interroger le parrain de cette seconde édition dans le peu de temps que nous avions sur la reconnaissance de la comédie en France.
Dans tous vos rôles, même les plus comiques, vous avez cherché à insuffler un message politique et social…
Politique, pas tellement, c’est plus nuancé. Comme dirait un vieux slogan de 68, « tout acte est politique » et donc tout acte artistique est politique. Mon engagement social vient de mes origines modestes : par le succès et la chance que les spectateurs m’ont donné, je peux exercer mon métier et j’appartiens désormais à ce qu’on appelle l’élite, détestée par les Gilets Jaunes. Je ne suis plus l’enfant élevé dans la banlieue ouvrière de Paris, mais ce sont ces racines qui m’ont structuré. Dans tous les films que j’ai écrits, j’ai cherché à amener des personnages précaires ou bien à construire une histoire autour de la précarité, comme Le Petit Boulot [ndlr : film qu’il a scénarisé mais refusé de réaliser de peur qu’on lui reproche justement son propos social].
Pourtant, la comédie peine à être reconnue en France. Vous-même avez été nommé plusieurs fois aux Césars mais vous n’en avez reçu qu’un pour un rôle dramatique.
J’ai tout de même reçu un prix d’interprétation à Cannes pour Tenue de Soirée [ndlr : une comédie écrite et réalisé par Bertrand Blier]. C’était encore une époque où ce film pouvait être présenté à Cannes, pas sûr que ce soit le cas maintenant.
Justement, la comédie n’est-elle pas le genre le plus efficace pour faire passer des messages sérieux, grâce au rire ?
Pour moi, l’un des plus grands films de l’histoire du cinéma est une comédie : To Be or Not To Be d’Ernst Lubitsch. L’histoire se déroule pendant l’occupation nazie en 1942 en Pologne. C’est à pleurer de rire, c’est formidable et ça dit tout. Ce film prouve que la comédie n’est pas un art mineur et peut porter un propos social ou politique extrêmement fort. Même dans le comique, on peut exprimer une forme de tragique.
Hakim Jemili [ndlr : avec qui il partage l’affiche pour son prochain film Docteur ?] a commencé dans un collectif sur Youtube avant de monter sur scène. Si le web avait existé à vos débuts, auriez-vous utilisé ce média pour vous faire connaître, seul ou avec le Splendid ?
Bien sûr ! Le café-théâtre était l’équivalent à notre époque. Quand j’ai commencé, la voie royale était le Conservatoire : j’ai pris des cours d’art dramatique, mais très vite ça m’a ennuyé. J’ai alors rejoint les copains chez Tsilla Chilton (Tatie Danielle), une prof extraordinaire qui me faisait travailler Shakespeare ! Puis, on a débuté au café-théâtre car c’est là que ça se passait. La génération suivante a démarré à la TV, comme Les Nuls ou Les Robins des Bois, et celle d’aujourd’hui utilise les réseaux sociaux ou le stand up. “The place to be” est toujours en évolution, il faut suivre la tendance pour se faire repérer et avoir toutes ses chances. Maintenant, je ne pourrais pas faire du stand up ou des vidéos, ce n’est pas ma culture, mais si je débutais aujourd’hui, je le ferais sans hésiter.
Pourtant, lors de la sortie du film Les Trois Frères Le Retour, Les Inconnus ont fait leur promotion via des sketchs Youtube…
Oui mais eux faisaient déjà des sketchs à la TV, pas nous. Si je me mettais à faire des sketchs avec le Splendid, on passerait pour une bande de vieux cons. Le public aime qu’on reste dans sa catégorie et qu’on soit exigeant avec soi-même pour être le meilleur.
Vous êtes un grand amateur de musique classique ; pourtant, vos films comportent peu de musique de fond. Pourquoi ?
Je me suis souvent fâché avec des musiciens de film pour cette raison. J’ai horreur de la musique en fond sonore, pour faire tapisserie, ou bien pour tirer les larmes. La musique a un sens et lorsqu’il y en a dans mes films, elle s’intègre dans la scène d’une manière ou d’une autre.
Dans Grosse Fatigue, vous incarnez le double rôle principal et vous réalisez en parallèle. Comment avez-vous vécu ce tournage ?
Mal [rires]. Cette expérience a été particulièrement éprouvante : sous le coup de la fatigue, je me suis même tordu la cheville. Après ce film, je me suis juré que dans mes prochaines réalisations, je n’aurais pas de rôle ou bien un rôle secondaire.
L’idée préconçue « on ne peut plus rire de tout » persiste encore de nos jours : est-ce vrai selon vous ? Etiez-vous plus libres à vos débuts ?
Oui. A l’époque, personne ne disait « on ne peut pas rire de tout ». J’ai toujours pensé qu’on pouvait rire de tout mais pas avec n’importe qui, même avant la célèbre réplique de Desproges. Entre nous, des choses épouvantables étaient dites, mais jamais elles ne se seraient retrouvées dans nos films, car, même si ce n’était pas une époque du politiquement correct, certaines choses ne doivent pas sortir en public. Il y a une forme d’humour qui doit rester dans le privé, en clin d’œil, mais qui peut choquer.
En ce moment, je constate qu’on ne peut plus rire de grand-chose : le second degré est de moins en moins compris, l’humour frôle le ras des pâquerettes. Si je crée un personnage avec tel handicap ou telle personnalité et que je le rends comique, le public pense à tort que je me moque de lui. Pour vendre ses films sans être attaqué, il faut s’autocensurer et affaiblir la richesse des comédies, moi-même je le fais. Certes, je n’ai ni Instagram ni Twitter mais ça n’est jamais agréable d’entendre qu’on est l’objet de polémiques dessus. C’est une société fliquée avec Twitter comme vecteur de lettres anonymes : ça ressemble aux dénonciations de 1940 contre les voisins juifs, résistants ou homos.
Je ne parle pas de #MeToo qui n’a rien à voir avec cette culture de la délation et ces procès d’intention contre des gens sans savoir ce qu’ils veulent dire, et ça c’est blessant.