MARIO s’attaque au tabou insupportable de l’homosexualité des footballeurs
Quelques semaines à peine après la fin de la Coupe du Monde, la Suisse vient taper dans la fourmilière avec Mario, portrait d’un joueur de foot homosexuel rêvant de Première Division. Mais dans le milieu du sport plus que tout autre, l’épanouissement personnel n’est que très secondaire.
Que le film de Marcel Gisler sorte aussi peu de temps après l’événement sportif de l’année n’est clairement pas un hasard. Nous sommes en 2018. Être gay est toujours un crime dans plus de soixante-dix pays autour de globe. Une dizaine d’entre eux n’hésite pas à punir l’homosexualité par des condamnations à mort. Dans nos sociétés occidentales, fort heureusement, l’acceptation se fait de plus en plus grandissante, même si l’identité LGBTQ déclenche toujours des réactions épidermiques qu’on rêverait de ne plus voir au XXIe siècle. Crimes de haine, discriminations et manifestations contre les droits des communautés : le chemin est encore long. Et on sait pertinemment que dans certains milieux, la tolérance tarde à faire son trou.
Si, heureusement, certains sportifs parviennent aujourd’hui à conjuguer leur carrière et leur homosexualité, le terrain de foot résiste encore et toujours au progrès. Le footballeur, symbole ultime du mâle viril à crampons, ne peut pas sortir de la supposée norme. D’ailleurs, seriez-vous capables de nommer trois joueurs gay de Première Division ? Probablement pas. Et pour cause : un footballeur homosexuel, ça n’existe pas. Ou plutôt, ça ne peut pas exister. Trop de pression, de médiatisation, de sponsors exigeants. Ce besoin d’être parfait, irréprochable, sans défaut. Un homme sans faille ; là où l’homosexualité pourrait être perçue comme une faiblesse, une perversion. Mario le réalise brutalement lorsqu’on le confronte à sa sexualité dans les vestiaires, d’un brutal « j’ai envie de savoir avec qui je me douche » . Comprendre « je ne veux pas me mettre à nu devant une bête de foire ! » .
Quand Marcel Gisler nous présente Mario, il est l’étoile montante d’un petit club suisse et rêve de rejoindre la cour des grands. Lorsque son équipe recrute le jeune Allemand Leon, Mario voit ses rêves de grandeurs se confronter à un autre désir, charnel et romantique cette fois-ci. Une attirance évidemment rapidement dévoilée. Face à la pression, peu d’alternatives. On se soumet aux exigences du club et on fait profil bas, ou on se barre. Par ce biais, Gisler ausculte la cruauté d’un milieu qui ne soutient ses joueurs que lorsqu’ils rentrent dans le moule bien formaté du footballeur idéal. Celui qui rendra bien en poster dans la chambre de ceux qui l’idolâtrent. Le film explore l’hypocrisie habituelle (« Tu sais, nous on a pas de problème avec ça, c’est à cause des autres » ), la crise identitaire, le mal-être de celui à qui on assène qu’il ne peut pas vivre au grand jour. Et que dire de ces épouses dont le statut de potiches se double pour l’occasion d’alibis médiatiques ? Mascarade organisée et vie amoureuse sacrifiée sur l’autel de la célébrité – celle d’un autre de surcroît : pas sûr que leur sort soit moins tragique que celui de leurs (faux) partenaires.
Cette année, la Coupe du Monde était organisée en Russie. La prochaine se tiendra au Qatar. Deux pays ouvertement opposés à l’homosexualité. Si on se demandait où se situaient les priorités de la FIFA, elles ne se cachent visiblement par derrière les droits de l’homme… De toute évidence, le film n’est pas exempt de défauts. L’esthétique est très austère, presque froide, l’histoire d’amour reste très classique et le scénario somme toute très simple et finalement peu sanguin. Peut-être aurions-nous plus rêvé de rébellion, de révolte, de cris du cœur. Mais peut-être sommes-nous trop idéalistes, trop engagés, trop agacés. Néanmoins, Mario a le mérite de taper du crampon dans la fourmilière et de traiter, de mémoire pour la première fois sur grand écran, de cette saloperie de tabou qu’est l’homosexualité dans le monde du football. On regrette simplement que le film se fasse aussi fataliste et pessimiste, comme si toute romance gay ne pouvait trouver au cinéma qu’une issue dramatique. On a beau soutenir de tout notre être l’émergence des thématiques LGBTQ sur les écrans (quels qu’ils soient), il va vite devenir nécessaire que le cinéma sorte de cette préconception de l’amour gay comme amour maudit au bonheur fondamentalement inaccessible. Après toutes ces années et ô combien de drames, la respiration devient plus que nécessaire.
Mario, de Marcel Gisler. Avec Max Hubacher, Aaron Altaras, Jessy Moravec. Drame humain sur terrain de foot. Nationalité : Suisse. Durée : 1h59. Distributeur : Epicentre Films. Disponible en DVD et en salles depuis le 1er Août 2018.