Marco Berger : l’amoureux des lieux et des visages
À l’occasion de l’édition 2019 du Festival Chéries-chéris, notre rédacteur Hugo Bouillaud nous avait fait part du tourbillon d’émotions ressenti au visionnage du dernier film de Marco Berger, Le colocataire, (en VO Un rubio). Ce film d’amour, porté par deux comédiens au jeu à fleur de peau (Gaston Re, lauréat du prix d’interprétation de Chéries-chéris, et Alfonso Barón), l’avait non seulement ému, mais avait aussi dérouté ses attentes de spectateur aficionado de Marco Berger. En effet, si la recette des films du cinéaste argentin s’avère toujours efficace, celle-ci reste sensiblement la même d’un film à l’autre. Pourtant, dans son dernier film, Marco Berger a osé chambouler ses propres codes en nous racontant ce qu’il se passe au-delà du jeu de séduction.
Rencontre avec cette valeur sûre (déjà huit longs-métrages au compteur !) du cinéma LGBT.
Avec Un rubio, vous allez plus loin dans ce que vous montrez des relations humaines : vous mettez en scène la tension sexuelle, mais aussi l’amour et les problèmes qui vont avec, quitte à ce que le propos soit plus amer que dans vos précédents films…
Je ne suis pas sûr que le propos soit plus amer. Ce que je montre dans mes films, ce sont toujours des tensions. Ce que le spectateur veut voir à l’écran, ce sont les problèmes, car le bonheur en tant que tel ne fait pas un film. Alors, oui, peut-être que mes précédents films étaient plus idéalistes. Dans ceux-ci, l’amour entre les personnages venait en premier lieu. C’était toujours l’amour avant le sexe. On se doutait que mes protagonistes masculins, heureux de la situation, allaient finir par faire leur coming out. Dans Un rubio, à l’inverse, le désir est là dès le début, mais l’amour s’épanouit sans que les personnages ne s’en aperçoivent. Puis la réalité vient frapper à la porte de leur histoire ; il faut faire un choix : comprendre et assumer qui l’on est, ou le refouler. Un rubio est le portrait de deux hommes qui ne réagissent pas de la même façon à ces questions-là. Je voulais montrer la difficulté amoureuse qui se confronte au problème, bien réel, de la pression sociale liée à l’orientation sexuelle et la virilité. Dans le futur, peut-être raconterais-je des histoires d’amour gay qui rencontrent d’autres types de problématiques aussi concrètes : la fidélité, le polyamour…
Vous avez développé au fur et à mesure de vos films un style bien identifiable, mais Un rubio marque un tournant dans votre carrière. Et avec votre petit dernier, El cazador (qui n’est pas encore sorti en France), vous vous aventurez dans les eaux du thriller. Que cherchez-vous à explorer quand vous vous lancez dans un nouveau projet ?
Je ne pense ni en terme de carrière, ni en terme de but. Je préfère aller vers ce que j’ai envie d’explorer sur le moment. J’ai par exemple un projet, que je prévois de tourner d’ici un ou deux ans. Il s’agirait d’un films qui, sur le fond, rappelle mon long-métrage Plan B, mais dont le style serait la comédie. L’idée serait de s’approprier les codes de la sitcom à la Friends : un exercice périlleux mais qui promet d’être amusant ! Alors, oui, j’ai un processus créatif habituel – je trouve une idée principale et je construis un point de vue autour -, et mon style est aujourd’hui identifiable par les spectateurs, notamment par le côté « film indé », mais je suis toujours en quête de nouveauté.
À propos de ce style « film indé »… est-ce une case dans laquelle vous vous reconnaissez ? Aimeriez-vous tourner dans d’autre types de productions ?
Jamais je ne tournerai de film en lequel je ne crois pas, jamais je ne ferai de film juste pour l’argent. Cependant je ressens parfois une certaine frustration à devoir me limiter à des budgets de tournage serrés. Donc oui, tourner avec plus de budget m’intéresserait. Tourner à l’étranger aussi. Je pense que chaque réalisateur devrait avoir des moyens à la hauteur de ses ambitions. Mais en tant que réalisateur en Argentine, je n’ai pas d’autre choix que de devoir apprendre à limiter mes moyens. À titre de comparaison, les budgets cumulés de tous mes films n’atteignent pas le budget du premier film de Xavier Dolan ! J’aime mes films, mais j’ai dû vivre des envies frustrées à cause de ces questions-là… Malgré tout, savoir à quoi m’attendre comme budget m’a appris l’art de faire avec. Par exemple, avant chaque film, je sais que j’aurai droit à un lieu principal de tournage. Très bien ! Dans ce cas, je repère un lieu qui me plait et écris le métrage autour de ce lieu.
Je voulais justement vous en parler : il s’agit d’un très bon usage de la contrainte, car quand on pense à vos films et leur décor unique, on pense à ce lieu comme à un personnage du film : la grande maison colorée de Taekwondo, la maison de campagne avec piscine d’Hawaii, l’appartement dans Un rubio… Comment ce lien entre l’histoire et le lieu se crée-t-il ?
Pour que mon choix se porte sur un lieu, et que les idées viennent, il faut vraiment que je tombe amoureux de l’endroit en question. Il m’arrive d’avoir envie de lancer un projet juste par amour pour un lieu. C’est comme ça que marche mon cerveau. Pour Taekwondo, par exemple, j’ai vu cette maison, ses couleurs, sa piscine, son court de tennis : coup de cœur. J’ai eu envie d’expérimenter dans cet espace. J’ai donc fait passer des castings pour arriver à cette bande de neuf acteurs, et ce n’est qu’après cela que j’ai commencé à écrire le scénario : en ayant en tête le lieu de tournage, et le visage des acteurs. Au final, dans cette démarche expérimentale de quasi-improvisation, je n’ai écrit les dialogues que le week-end avant le tournage ! Pour Un rubio, le processus n’était pas le même. Je savais que je voulais travailler avec une cheffe décoratrice que j’admirais. Nous avons donc choisi un lieu vide pour y créer un univers qui rappelle les personnages du film. Elle a donc meublé avec moi cette maison, le tout dans des teintes jaune, brun, caramel, qui rappellent la blondeur et le travail de menuisier de Gabriel.
La grande majorité de vos films, y compris Un rubio, sont portés par un duo d’acteurs : comment faire pour que l’alchimie opère ? Et dans le cas d’Un rubio, comment votre choix s’est-il porté sur ces deux comédiens ?
L’élément fondateur qui a lancé mon envie d’écrire Un rubio est ma rencontre avec Gaston Re. Il avait déjà tourné en second rôle dans Taekwondo. À ce moment-là, je me suis dit que c’était l’acteur le plus talentueux que j’ai pu rencontrer jusqu’ici. Je voulais absolument montrer à tous l’étendue de son talent. J’ai donc réellement écrit le film à partir de lui, en créant ce personnage si différent de son personnage précédent, fragile, timide, qui dévoilait une nouvelle facette de Gaston. Pour ce rôle il a d’ailleurs dû perdre huit kilos ! Donc, une fois que j’avais Gaston Re, j’avais le personnage, et l’histoire qui en découle. Il me fallait donc désormais trouver un acteur à la hauteur. Je savais que je voulais le « Juan » le plus sexy possible. Alfonso Barón était le comédien idéal ; sur scène, quand je l’ai vu jouer la première fois, tu le ressentais : tout le monde dans la salle, homme ou femme, voulait lui faire l’amour. Il n’a pourtant pas la beauté la plus classique, mais il a ce « truc » que je recherchais. Bon, une fois mes deux comédiens coup de cœur réunis, je poursuis avec mon processus habituel : je fais des essais, je les mets côte à côte, et je prends des photos, encore et encore. Je tente une pose, une autre. Mon imagination visuelle peut décoller, et l’alchimie entre les deux comédiens opère. Jusqu’ici ça a marché à tous les coups.
Gaston Re a travaillé sur le film en tant que producteur en plus d’être le comédien principal. Et l’on retrouve à la production Lucas Papa, tête d’affiche de votre précédent film. Il semble que sur vos tournages, on ne change pas une équipe qui fonctionne !
C’est comme cela que j’aime travailler, avec des gens dont je me sens proche. Je n’ai par exemple jamais changé de compositeur. Pedro Irusta est celui qui compose toutes les musiques que l’on peut entendre dans mes films, de la musique extra-diégétique de premier plan à la petite musique qui passe à la radio et que personne ne va relever. Pedro a travaillé sur tous mes films, et je compte bien continuer la collaboration. De même, je trouve intéressant de répéter les expériences avec les acteurs. Je continue de travailler avec Gaston Re, en fait nous essayons de développer un projet en France, où il vit actuellement. Je suis devenu très ami avec lui. De manière générale, mes collaborateurs sont aussi mes proches car ma vie personnelle n’est pas tellement éloignée de ma vie professionnelle. Parfois, il me semble que ma vie en tant que réalisateur est plus importante pour moi que ma vie en tant que personne, dans le sens où le paradigme est inversé par rapport aux autres gens : en effet, je ne me fais pas spécialement d’ami à l’issue des tournages. En fait, je vais plutôt traîner avec quelqu’un, et au bout d’un moment, si j’apprécie cette personne, vient un moment où je lui dis « je veux tourner avec toi » !
Propos recueillis par Hugo Bouillaud.
Photo en Une : ©Marco Berger