L‘Homme qui pleurait Don Quichotte
Cela fait 25 ans que j’attends ce moment. Cet instant fatidique où je suis confortablement installé dans le fauteuil et où les lumières vont s’éteindre, me plongeant dans de délicieuses abysses cinéphiliques. La salle est climatisée, personne n’est assis à côté de moi, je ne vais pas subir les désagréments de gens bizarres ou mal élevés. Non, je suis enfin prêt à découvrir le nouveau long métrage de Terry Gilliam, artiste maudit jusqu’à la moelle doublé d’un génie qui aura remporté une terrible et belle victoire sur la fatalité. Le film, auquel participaient initialement Jean Rochefort et Johnny Depp (remplacés par Jonathan Pryce et Adam Driver), a subi neuf tentatives de production, un premier tournage annulé pour causes d’intempéries et d’autres catastrophes dont des batailles judiciaires autour des droits du projet. J’en passe et des meilleures…. Mais je sens que j’aime déjà ce film, qu’il sera important dans la carrière de l’auteur des colossaux Brazil et L’Armée Des 12 Singes. Je veux qu’il soit génial, il le doit. Terry ne peut pas se planter à nouveau (vous auriez vu ma tête quand j’ai découvert au cinéma Zero Theorem…).
Après quelques satanées bandes-annonces de films que je n’irai jamais voir, L’Homme Qui Tua Don Quichotte commence.
Vous connaissez cette terrible impression du type « Mais c’est quoi ce film ? » qui nous submerge dès les cinq premières minutes ? Vous savez de quoi je parle ? Cet instant où tu te dis « Mais…mais…mais…je me suis trompé de salle ? Deux minutes, là…Heu…C’est vraiment en train d’arriver ? Je suis vraiment devant un spectacle grotesque, vain, vidé de toute substance, usé jusqu’à la corde donc périmé ? Un spectacle qui ne me touche pas, qui me gène terriblement, qui ne me fait pas du tout rire malgré les efforts de Adam Driver, malgré le soin apporté aux costumes, malgré la musique, malgré de beaux paysages et quelques envolées lyriques. »
Si, vous savez de quoi je parle.
Et cette douloureuse émotion pointe le bout de son nez dès le début du film. J’essaie de la rejeter, en vain. Elle persiste, me pousse du coude tel un enfant malicieux pendant plusieurs dizaines de minutes puis finit par me frapper au visage. Je tombe, interloqué, sonné, choqué et… je ne me relève pas, je préfère rester allongé au sol, les bras en croix, crucifié.
Le film de Terry Gilliam souffre du syndrome du petit garçon qui a tellement de jouets qu’il ne sait plus quoi en faire. Ses personnages avancent tels des pantins désarticulés dans une intrigue nébuleuse totalement vide. A aucun moment nous ne ressentons d’empathie pour les héros de ce film en roue libre, extrêmement grimaçant et embarrassant. Il aurait fallu donner plus de chair aux protagonistes et rendre l’intrigue un poil plus passionnante et compréhensible plutôt que ce marasme dégoulinant.
Que s’est il passé ? Suis-je passé à côté d’un chef d’œuvre ? Étais-je ailleurs ? Suis-je devenu aigri ? Pourquoi suis-je tellement déçu ? Je n’en saurai probablement jamais rien. A quelques sièges de moi, mon ami soupire. Je regarde ma montre. Pardon ? 30 minutes ? Que faire ? Sortir, fuir, s’échapper ? Et si la fin était sublime, vertigineuse ? Sûrement ! Le destin en décidera autrement.
Je lutte contre les moulins à vent, tel ce chevalier en armure pensant combattre des Géants amateurs de chair fraîche. Mon ventre se contracte, le générique de fin tombe, les lumières se rallument. Je respire enfin, je peux déployer mes ailes et voler, voler, voler au dehors du cinéma et enfin, enfin, laisser couler mes larmes de déception, de tristesse car je suis coupable d’un crime impardonnable : j’ai tué Don Quichotte de la Mancha.
Réalisé par Terry Gilliam. Ecrit par Terry Gilliam et Tony Grisoni, d’après l’œuvre de Miguel de Cervantes. Avec Jonathan Pryce, Adam Driver, Olga Kurylenko. Espagnol, Britannique, Français, Portugais, Belge. 2018. 2h12. Océan Films. Sortie : 19 mai 2018.