L’héroïque Lande, la frontière brûle, une terrible épopée moderne
L’héroïque Lande, la frontière brûle, est une immersion de près de quatre heures dans la Jungle de Calais. Ce documentaire bouleversant sur le quotidien des réfugiés n’échappe pas à une sur-esthétisation qui entrave parfois le propos.
De l’hiver 2016 au printemps 2017, Elizabeth Perceval et Nicolas Klotz ont filmé les métamorphoses de cette ville-monde, que l’on a surnommé “La Jungle”. Presque un an passé auprès d’hommes et de femmes originaires du Niger, d’Afghanistan ou encore de Syrie, pour qui l’exil est devenu la seule option. Avec eux, on assiste à la destruction de la Zone Sud et on prend part à leur rêve de rejoindre l’Angleterre, perçue comme l’espoir d’un ailleurs plus favorable… Entre attente et moments de découragement, tous façonnent la Lande de Calais, espace hybride à la portée mythologique.
Des mains qui pétrissent la pâte à pain, des corps qui se frôlent, amorcent des pas de danse dans l’obscurité de la nuit. Des chants, aussi. A la souffrance de ces vies volées, à l’horreur familière de ceux qui ont fui leur pays, se substitue la beauté de l’entraide, la noblesse des gestes quotidiens retrouvés. La Jungle, ce sont ces cabanes de bois, ces logements de bric et de broc, des abris qui deviennent foyers. Y vivent Zeid, Almaz, Zared. De jeunes femmes, des vieillards, des amants, des amis. Certains sont là depuis un an, d’autres viennent d’arriver. Les policiers les gazent, jettent leurs chiens sur eux, comme le raconte un jeune homme. Il fait froid, chaque jour est difficile. Mais la vie est là, pourtant, elle surgit de toutes parts, au détour d’un rire ou d’une voix qui entonne Diamonds de Rihanna. Derrière les barbelés des hautes grilles qui encerclent la zone, le port de Calais, d’où partent les bateaux. Un ferry, énorme et monstrueux, glisse lentement à l’horizon. En fond, résonne la clameur de la guerre, la stupéfaction d’y avoir survécu. La foi, aussi, dernier rempart contre le désespoir. Lorsque chacun se raconte, le silence se fait. La caméra, pudique, épouse les visages, recueille les confessions. En donnant la parole à ceux qu’on ne voit pas, Elizabeth Perceval et Nicolas Klotz leur rendent la dignité et la décence dont ils avaient été spoliés.
La posture morale est plus que louable. Parce qu’ils filment, toujours, aux côtés des réfugiés, les réalisateurs nous intègrent dans une grande histoire collective. “J’ai compris, en vous revoyant au printemps, que vous étiez mes amis”, leur dit un jeune migrant. Contre l’inhumanité d’une société où l’on enferme les personnes dans des camps derrière de hauts murs, – “Go go to the Jungle” répète inlassablement la police -, le couple préfère montrer l’édification d’une communauté, bâtie sur les stigmates de la guerre. Et c’est beau à en pleurer. L’exil, la solitude, l’abnégation, la tendresse… Autant de sentiments qui débordent, partout, dans chaque plan, dans chaque silence. Les images, d’une rare poésie, éclairent la nature même du camp. Mais pourquoi, alors, chercher à sublimer une réalité déjà suffisamment éloquente ? Parce qu’ils cherchent à faire du beau cinéma, les cinéastes déplacent, par instants, le sujet. Une ambition lyrique qui se heurte aux exigences éthiques du devoir de montrer. Ainsi, le parti-pris sonore – du mixage de sons environnants à l’ajout de musiques extérieures, telles que Christophe ou Léonard Cohen – nous repousse hors du film. On ne peut que regretter cet excès d’esthétisation, qui rend le propos un peu artificiel. C’est d’autant plus dommage que L’héroïque Lande atteint, bien souvent, de purs instants de grâce. Et nous rappelle, toujours, combien ce sujet, brûlant, est d’actualité.
L’héroïque Lande. Un documentaire de Nicolas Klotz et Elizabeth Perceval. France. Durée : 3h45. Distribution : Shellac. Sortie : 11 avril 2018.