Last Dance : Retour à l’ombre
Depuis quelques années, les drag queens ont le vent en poupe. Mais si le public a appris à se familiariser avec ces personnages excentriques qui illuminent les scènes des cabarets et les émissions de RuPaul, leurs alter-egos demeurent, eux, bien méconnus. Avec son premier film Last Dance, Coline Abert tourne le projecteur vers l’un d’entre eux et livre le portrait doux-amer d’un artiste en plein questionnement, dépassé par sa propre création.
Après avoir fait partie de la scène underground de San Francisco dans les années 1990, Vince migre vers une nouvelle terre promise : la Nouvelle-Orléans, véritable bulle de créativité pour les artistes en tous genres suite aux ravages de Katrina. Là-bas, la popularité de son double scénique, l’épatante Lady Vinsantos, fait les beaux jours (ou les belles nuits ?) de la scène drag louisianaise. À tel point que Vince décide de partager son savoir-faire. Il y ouvre alors une école, « un atelier » comme lui-même préfère l’appeler : le New-Orleans Drag Workshop. Pendant dix ans, il y a formé de nombreux artistes en devenir, prodiguant conseils, tutos et astuces pour les aider à perfectionner leur art, affiner leurs personnages, magnifier leurs performances. Mais depuis quelques temps, Vince s’est fatigué de ce personnage-star qui draine toute l’attention (et son énergie par la même occasion) et envisage de l’abandonner une bonne fois pour toute. C’est à ce stade de sa vie que Coline Abert, scénariste des Revenants de Canal +, l’a rencontré par le plus grand des hasards. Captivée par son allure aux croisements des genres et son état d’esprit sur la brèche, à mi-chemin de la passion et de la lassitude, la Française a décidé de le suivre durant trois ans, par intermittence, pour observer le cheminement de sa pensée. En résulte un documentaire d’une grande tendresse, pour un art évidemment, mais aussi et surtout pour l’une de ses figures emblématiques.
Lady Vinsantos a façonné la scène drag de la Nouvelle-Orléans telle qu’elle existe aujourd’hui. Dans le milieu, c’est une pointure, une référence incontestable, évidemment inconnue de ceux qui n’en font pas partie. C’était le cas de Coline Abert il y a encore peu de temps. Son approche de ce milieu artistique, c’est aussi la nôtre. Sa caméra, c’est un peu notre œil. Avec une délicatesse et un respect infinis, elle nous mène à sa rencontre et à la découverte de tout un monde, flamboyant certes, mais extrêmement réfléchi et préparé, bien moins spontané et impulsif qu’il ne paraît. Comme dans toute représentation artistique, on cherche, on tâtonne, on se questionne. On demande de l’aide, on conseille, on rassure. Last Dance a cette vertu de mettre en lumière l’énorme travail des performers drag et l’importance primordiale qu’a cette communauté pour chacun d’entre eux. Une communauté qui doit beaucoup à Lady Vinsantos, à sa bienveillance, à son désir de transmission. Ce n’est pas un hasard si Vince appelle ses élèves « ses enfants » ou « sa famille ». Si la scène drag de Louisiane est aussi riche, si elle est aussi soudée, c’est grâce à lui. C’est son héritage, et il est conséquent.
Ce que Last Dance nous présente, c’est bel et bien un artiste, pour qui les questionnements ont commencé dès l’enfance et qui continuent de l’obséder la cinquantaine passée. Un artiste particulièrement d’avant-garde, pour qui le drag était et doit rester un geste politique. Pour lui, se travestir, c’est une manière de dynamiter les codes, de questionner le genre, voire de lui faire un doigt d’honneur. De s’affirmer, de se trouver, et d’envoyer chier le monde et ses attentes normatives sous du maquillage, des perruques et des faux seins. Et de créer toujours, envers et contre tout. Tout ce que Lady Vinsantos, à cause de sa popularité et de sa célébrité, l’empêche finalement de faire.
Last Dance est donc aussi un chant du cygne, les funérailles d’une grande dame qui a fini malgré elle par prendre trop de place, un ultime geste artistique avant qu’une page se tourne, et surtout une plongée dans la psyché d’un créateur à l’aube d’un nouveau grand chamboulement. Une œuvre qui dépasse donc le simple aperçu des coulisses de la scène drag américaine pour brosser un portrait d’artiste bien plus universel. Une jolie découverte en somme, à l’image de son personnage principal : terriblement attachante et bien plus sombre que les couleurs flashy des fards à paupière le laisseraient deviner.
Suivez Vince dans sa vie post-Lady Vinsantos sur Instagram : @vinsantosdefonte
Réalisé par Coline Abert. Avec Vincent DeFonte, aka Lady Vinsantos, mais aussi Fauxnique, Tarah Cards, Neon Burgundy, Franky Canga… France. 01h45. Genre : Documentaire. Distributeur : Condor Distribution. Sortie le 22 février 2023.
Crédits Photo : © Condor Distribution.