Insecure, saison 3 : Black Lives Malaise
Créée sur HBO par Issa Rae, qui interprète le rôle principal, Insecure est le prolongement de Awkward Black Girl, mini-série web de la même auteure qui signifie littéralement Fille Noire Maladroite (ou mal à l’aise). Maladroite et mal à l’aise, Issa l’est. Et c’est avec un grand plaisir qu’on retrouve ses mésaventures alors qu’elle apprend à devenir adulte et à concilier ses émotions avec son identité de femme noire.
Si Issa est l’héroïne, la série raconte les déboires sentimentaux et professionnels d’un groupe de jeunes trentenaires noirs vivant dans la banlieue de Los Angeles. Tous les déboires de passage à l’âge adulte se ressemblent, me direz-vous, a priori. Sauf que non, pas vraiment. À la fin de la saison 2, la malhabile Issa tournait une grande page de sa vie. Elle découvrait qu’elle était elle-même capable de maladresses raciales après avoir eu affaire à un directeur d’école noir discriminant les élèves latino-américains, et elle se retrouvait rétrogradée et en probation dans son organisation de soutien scolaire bien intentionnée mais un peu problématique, We got yall. Elle parvenait enfin à rompre proprement avec son ex, Lawrence, après des mois de guerre larvée et des tentatives épuisantes et peu concluantes de kiffer la vie de célibataire. Et surtout elle se retrouvait sans appartement et elle trouvait refuge chez Daniel, celui avec qui elle avait trompé Lawrence sans jamais parvenir à assumer ses sentiments pour lui. Alors qu’elle franchissait le seuil du logement de cet amant aux contours indéfinis, elle prévenait “je dors sur la canapé”. Et c’est bien sur le canapé qu’on la retrouve, alors qu’elle tente de couvrir les gémissements de la femme avec qui Daniel couche bruyamment. Simple la vie de Issa ? Jamais.
Insecure parvient parfaitement à faire ressentir la différence de psychologie et d’expérience du quotidien de ces jeunes actifs, alors que leur identité noire est absolument indissociable de leurs interactions sociales. Molly par exemple, la meilleure amie de Issa, n’arrive pas à se faire comprendre des psychothérapeutes qu’elle rencontre avant qu’elle ne tombe sur une psy noire. Dans ce cabinet, elle se sent enfin capable de formuler son obsession maladive de la valorisation sociale, qui la fragilise dans ses relations intimes et professionnelles. La série interroge la culture noire américaine dans ses aspects les plus variés : de la sexualité à la question de la gentrification par exemple. Ou des difficultés et du manque de volonté des personnages blancs à se mettre à la place de leurs interlocuteurs noirs, y compris quand ils prétendent défendre leurs intérêts. Pourtant Insecure n’a rien d’une série politique. Stylisée, léchée, moderne, patinée d’une bande-son des plus hype (SZA, Solange, etc), elle se délecte des détails de la culture populaire et de l’oralité du quotidien. Très américaine, la série parvient à faire écho à des questions identitaires qu’on connaît tout autant en France bien qu’on les aborde difficilement sous cet angle. C’est d’ailleurs peut-être parce qu’on se sent un peu orphelin de série française du même type, qu’on se laisse emporter avec plaisir par les pérégrinations d’Issa, et qu’on partage avec elle sa solitude dans un système sans filet.
Insecure, créée par Issa Rae.
Avec Issa Rae, Jay Ellis, Yvonne Orji, Lisa Joyce.
Saison 3 diffusée sur HBO depuis le 12 Août 2018 et sur OCS depuis le 13 août 2018.