House of Gucci : Bad Romance
« Au nom du Père, du Fils, House of Gucci ». C’est ainsi que Patrizia Reggiani Gucci jure quand on lui demande si elle sait garder un secret dans le dernier film du décidément très prolixe Ridley Scott. Un rôle de veuve noire excessive et funeste auquel la diva de la pop Lady Gaga prête ses traits et son âme avec une abnégation quasi religieuse. Mais que retient-on de ce biopic chamarré et parsemé d’une bande originale vintage chic surexcitée qui a l’air d’avoir coûté aussi cher que le budget maquillage de Jared Leto ? Eh bien il en est de House of Gucci comme de toutes les histoires de famille : c’est compliqué.
Patrizia Reggiani est une petite fille d’italien moyen gérant d’une société de transport routier quand elle rencontre par hasard Maurizio Gucci (Adam Driver, très bel en blonde), héritier placide de 50% de l’empire de maroquinerie du même nom, dans une soirée costumée où il était venu sans costume. Un coup de foudre sur un air de malentendu puisqu’elle le prend pour un serveur et qu’il croit de son côté voir Elizabeth Taylor. Mais le charme opère, dans la folie du moment et avec un petit coup de pouce de Patrizia bien décidée à ferrer son charmant poisson millionnaire. Rodolfo, le père de Maurizio (Jeremy Irons, hanté), aristocrate reclus dans son palace toscan, l’avait pourtant prévenu : les filles comme ça, infoutues de faire la différence entre un Klimt et un Picasso, on s’amuse avec mais on ne les épouse pas. Mais Maurizio tient tête à son paternel au charisme poussiéreux. Il demande Patrizia en mariage dans un grand geste aux allures romantiques et scelle ainsi son destin fatal. Le brouillard dans les yeux des amants maudits est mis en scène avec un lyrisme décomplexé par ce vieux briscard de Ridley Scott qui envoie la fumée à balle lors d’un premier baiser aquatique, non sans évoquer La Petite Sirène, les crabes chantant en moins. La brume ne se dissipe jamais complètement et se transforme très vite en nuages noirs avant de finir sur la froideur gelée des montagnes suisses, et une létale odeur de poudre…
Impossible en effet de spoiler House of Gucci, on sait tous qui meurt à la fin et c’est Adam Driver. L’intérêt du film ne se situe pas dans l’intrigue mais dans les motivations des personnages, en particulier celles de Patrizia, la pièce rapportée morte de faim qui fait de sa folie des grandeurs son principal moteur. La force du film, c’est bien elle et son interprète iconique, Stefani Germanotta alias Lady Gaga, qui se donne comme jamais et parvient à faire de la michetonneuse rapace, que Patrizia pourrait être et rester sur le papier, une femme blessée incapable de faire la différence entre l’amour et l’attention, et encore moins entre le statut et l’amour-propre. C’est une diva immature, sans foi ni loi et monstrueuse, mais sincère. Maurizio est, quant à lui, tout autant à côté de ses pompes en feuille d’or puisqu’il confond aussi l’orgueil d’une crise d’adolescence virile face à un père tyrannique et froid avec un sentiment amoureux profond et un choix de vie constructif. Bref, Scott filme avec une habileté indiscutable la copie conforme d’une histoire d’amour entre deux personnages qui n’ont aucune lucidité sur eux-mêmes ni sur leur situation et qui n’auraient jamais dû se rencontrer.
« They’re not fake by the way, they’re replicas » explique tonton Aldo (Al Pacino, content d’être là) quand Maurizio et Patrizia viennent l’alerter sur la prolifération de contrefaçons de sacs et accessoires Gucci. Mais Aldo était déjà au courant et il n’est pas alarmé. Il associe la capacité de la marque à générer du désir chez les déclassés à sa cote sur le marché. Et puis il fait la différence entre les faux grossiers et les copies fabriquées avec le sens du détail qui permettent de vendre l’illusion et faire sa promotion. Les séquences « faux Gucci » encapsulent le film et concentrent à elles seules son principal intérêt qu’on aurait aimé voir encore plus développé. On a en effet déjà vu mille fois, en souvent mieux, des histoires de mésalliance contre-nature et de guerre de succession au sein de dynasties décadentes. Mais au fond, House of Gucci raconte l’histoire de personnages qui courent après les copies de leurs rêves ou de leurs sentiments au sein d’une industrie qui synthétise et vend des mirages d’opulence. Et de fait, le film ne fait que réfléchir et refléter le faux et l’inconscience que le faux a de lui-même. L’attirail impressionnant de Jared Leto grimé pour son rôle de cousin geignard/artiste raté avait attiré l’attention dès la diffusion des premières images promo du film (heureusement d’ailleurs que Paolo Gucci est mort parce que le portrait que fait de lui Leto est assassin, quoique touchant dans son aveuglement). En réalité, le registre est excessif parce qu’aucun personnage n’est capable d’être authentique : Aldo est coincé sur le mode charmeur des marchands de tapis et dépassé par l’évolution des tendances qu’il ne contrôle pas (et dépassé par ses déclarations fiscales accessoirement) ; Rodolfo l’ancien acteur de seconde zone est en boucle sur son obsession maladive du passé ; Patrizia avec son accent italo-russe improbable source de nombreuses polémiques, n’est ni Elizabeth Taylor ni même « une vraie Gucci » comme on lui rappellera souvent ; Maurizio n’est pour finir pas un chef d’entreprise malgré son hérédité et il jette l’argent par les fenêtres faute de savoir donner un sens à ses fonctions. La famille éclate et pourtant le fantasme d’une marque « familiale » demeure intact comme le remarque avec acuité (le faux) Tom Ford lors de l’entretien d’embauche pour sa première collection. C’est en effet un bon résumé des paradoxes des mondes de la mode, et de l’image en général, basés sur l’attrait de l’apparence et la gratification immédiate qu’elle apporte. Ceci étant dit, tout ça est sexy à souhait et on se marre bien (“our name sa-weetie!”). Alors, que demande le peuple ?
Well, le film a sans surprise les défauts de ses qualités. Il finit par lasser, gonflé à bloc comme on l’a évoqué avec une bande originale qui rappelle les heures les plus flamboyantes de MTV. On aurait presque préféré entendre Heart of Glass en boucle pendant 02h37 dans un geste vraiment radical. Si on est plutôt bon public face aux performances d’acteurs décomplexées cinq étoiles (coucou Salma Hayek en voyante pétroleuse), on regrette de rester en surface et dans le commentaire. En effet House of Gucci vend plus d’excitation que d’émotion pour peu qu’on soit client d’un genre de drag show vieille Europe qui n’aurait lui non plus pas tout à fait conscience de lui-même. Et pour cause, quand Ridley Scott envoie Tracy Chapman et Pavarotti en duo sur une version baroque de Baby Can I Hold You Tonight pour la séquence finale, on se demande si on a mal compris et si c’est un malentendu depuis le début, a l’instar de Maurizio Gucci en serveur d’un soir. Dans le doute, on va tout de même commander un daïquiri martini.
Réalisé par Ridley Scott. Avec Lady Gaga, Adam Driver, Al Pacino… Etats-Unis, Canada. 02h37. Genres : Biopic, Drame. Distributeur : Universal Pictures International France. Sortie le 24 Novembre 2021.
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