FIF de La Roche-sur-Yon : rennes, black metal et séparation
Durant la seconde journée vendéenne, deux films ont retenu notre attention. Le premier est une comédie barrée sur un groupe de heavy metal finlandais, le second un drame intimiste autour d’une famille désunie du nord-est de la France. Autres registres, autres cultures : un même triomphe.
Heavy Trip de Juuso Laatio et Jukka Vidgren
C’est une évidence : au cinéma, en matière d’humour, nous ne sommes pas tous sensibles aux mêmes choses. Pourtant, parfois, la magie opère, et une vague d’euphorie emporte les spectateurs. En atteste l’hilarité de la salle, Heavy Trip de Juuso Laatio et Jukka Vidgren s’est imposé comme la comédie la plus drôle du festival. En toute subjectivité.
Nous sommes dans une petite bourgade de Finlande, où vit Turo, un jeune homme timide aux longs cheveux noirs et au blouson de cuir. Constamment moqué, il est une sorte de freak aux yeux des habitants du village, archétypes de l’intolérance un peu bête. Sa particularité ? Turo est le chanteur d’un groupe de black metal dans lequel jouent ses trois meilleurs amis. Pasi est un bassiste surdoué, Lotvonen un guitariste un peu niais qui travaille dans un abattoir de rennes et Jynkky un batteur enthousiaste. Entre virées en voiture et boeufs dans la cave, leur quotidien est plutôt bien huilé. Jusqu’au jour où la bande décide d’écrire ses propres chansons et de devenir un vrai groupe. Comment trouver un son unique ? Le découpage d’une carcasse de renne au couteau électrique leur procurera le crissement inattendu. Dès lors, “Impaled Rektum” (littéralement “rectum empalé”) mettra tout en oeuvre pour se produire au festival Extrem Metal de Norvège. Le film prendra des allures de road trip explosif à travers la montagne. Cercueil exhumé, vol de camion, riffs de guitares et hurlements gutturaux, jusqu’aux vikings qu’ils croiseront près d’un fjord… On l’a bien compris, Heavy Trip est un film ultra déjanté, sorte de Spinal Tap à la sauce finlandaise. Avec ses personnages volontairement caricaturaux, ses dialogues vifs et ses situations outrées, cette comédie est une parodie affectueuse de l’univers des métalleux. Un parfait feel good movie, en somme.
C’est ça l’amour de Claire Burger
C’est ça l’amour, c’est l’histoire de Mario (Bouli Lanners, bouleversant), un homme quitté par sa femme, à qui incombe désormais la tâche de s’occuper seul de ses deux adolescentes. C’est aussi le récit d’un apprentissage, celui de continuer à vivre quand l’autre est parti. Mario, écrasé par le poids de la rupture et celui de son corps, s’inscrit alors à des cours de théâtre – dans le théâtre où justement, travaille Armelle, sa femme. Ces cours sont un prétexte pour parler, formuler les douleurs de chacun. “J’en veux à ma femme d’être partie” déclare Mario. Quand Mathieu, fonctionnaire de police, prend la parole à son tour, c’est pour rappeler que “derrière chaque uniforme se cache un homme”, tandis qu’un autre participant espère que sa ville change, et qu’à Forbach, “ça bouge enfin”. De manière chorale, le film donne la parole aux hommes et aux femmes qui y vivent. Native elle aussi de cette ville de Lorraine tristement célèbre pour son taux record de votes FN, la réalisatrice Claire Burger y ancre ses réalisations. Party Girl (2014), son premier long métrage coréalisé avec Samuel Theis et Marie Amachoukeli abordait avec finesse la question de la prostitution, de la solitude, de l’alcoolisme, du temps qui passe. Une réalité sociale qu’elle n’élude pas, ne contourne jamais, mais dont elle s’affranchit à travers une vision profondément humaniste. Dans C’est ça l’amour, lors d’une scène nocturne troublante, Mario, seul dans sa voiture sur une aire de repos, écoute un air de classique. Le contre-jour révèle les courbes d’une jeune femme installée dans le camion d’en face. Lorsqu’elle s’approche et lui demande de baisser sa vitre, l’hésitation de Mario – va-t-il accepter ses services ? – se mêle à celle du spectateur. Les apparences trompeuses se transforment en quiproquo embarrassant… En réalité, la conductrice est incommodée par le volume sonore de la radio. Cet habile jeu entre ce que l’on imagine – un homme seul et malheureux en bordure de route, une femme en minijupe dans un camion – et la situation réelle témoigne de la volonté de la réalisatrice d’éviter les écueils de situations trop prévisibles. Son cinéma est exigeant, enraciné dans son époque. Loin des clichés et sans misérabilisme. Le personnage de Mario l’illustre bien : tendre, aimant et empathique, il prend le contrepied des rôles de « mères courages » qui ne s’accordent habituellement qu’au féminin.
Le thème universel de la séparation amoureuse y est saisi avec une rare justesse : l’intime se noue au collectif. Dommages collatéraux, les enfants. Frida, la cadette de 14 ans, fait elle aussi les frais de cette rupture, tandis que Niki, l’aînée, s’émancipe peu à peu du foyer familial. Les premiers flirts sont filmés avec une infinie pudeur. Alors que Frida s’interroge sur sa sexualité, Niki refuse de s’engager. Entre moments de tendresse et instants de violence, père et filles tentent, comme ils le peuvent, de rester soudés. “Toute ma vie, c’est de vous aimer”, avoue Mario. Lors d’une scène magnifique, la mère, revenue le temps d’une nuit, se tient près de ses enfants et de son époux sur le grand lit familial. Pour la dernière fois. Car aimer, c’est aussi apprendre à dire adieu.