Festival Atmosphères : le Bangladesh à Courbevoie
Ce qui est pratique avec le cinéma, c’est qu’il n’y a pas forcément besoin d’aller à l’autre bout du monde (Berlin, Cannes, et autres Trouville-sur-mer…) pour voyager. Parfois il suffit de traverser quelques rues pour découvrir qu’on a un sympathique festival de cinéma dans son quartier !
En l’occurrence je parle du Festival Atmosphères de Courbevoie, que vous connaissez probablement si vous êtes ici (puisqu’il s’agit de notre partenaire historique depuis 1893 !).
Au cas où, pour les nouveaux lecteurs, une rapide présentation : le Festival Atmosphères c’est quoi ? Il s’agit d’un festival de cinéma qui place le curseur sur la question du développement durable (au sens premier, écologique, mais aussi aux autres développements censés en découler, politique, économique, social…) Réflexion et discussion sont encouragées par les nombreux débats et rencontres.
Revenons à nos moutons : le voyage, je disais, le voyage. L’une des séances auxquelles j’ai pu assister m’a emmené, à ma propre surprise, au Bangladesh, pays qui m’était alors pratiquement inconnu. Il s’agit d’une projection en avant-première du film Made in Bangladesh de Rubaiyat Hossain. Découvrir le parcours de cette cinéaste fut étonnant : issue d’un milieu populaire dans son pays natal, elle a fui à New York pour entre autres se former à la réalisation et s’initier aux woman studies. Aujourd’hui, du haut de ses 38 ans, elle nous présente son troisième long métrage, qui, comme les deux précédents, place des femmes au centre de sa narration.
Made in Bangladesh
Dans Made in Bangladesh, la jeune et forte Shimu, qui travaille dans une usine de textile à Dacca, décide envers et contre tous de fonder un syndicat. Comme on peut s’en douter, cette décision ne peut être prise à la légère. En portant sur ses épaules ce projet, Shimu risque la colère de ses patrons, le renvoi de ses collègues et amies, la désapprobation de son mari. Les raisons d’abandonner ne font que s’accumuler tout au long du film. En tant que spectateurs occidentaux, on a presque envie de baisser les bras pour elle. Chose que ne fera jamais Shimu ; car face à une société dont l’injustice et le sexisme sont si profondément ancrés qu’ils ressurgissent dans toutes ses strates, que faire d’autre que se battre ?
On ressent au visionnage de Made in Bangladesh que la réalisatrice sait de quoi elle parle. La vision de son pays qu’elle nous suggère est très amère : le nœud du problème réside bien sûr dans la répartition des richesses (tout l’argent est détenu par les patrons). En répercussion à ce premier constat, un autre s’impose : c’est comme si un poison s’infiltrait lentement dans toutes les sphères de la vie des Bangladaises ; dans une relation amoureuse qui deviendra violente, dans une conversation qui tourne au vinaigre entre deux amies, ou dans un espace a priori protégé par le code du travail, le Ministère, que l’on découvre (ô surprise), corrompu. Le plus glaçant est la relation de Shimu avec son mari. Elle a la chance de connaître avec lui un vrai mariage d’amour… mais au cours du film celui-ci va s’opposer à la quête de Shimu, et passer du statut d’adjuvant à celui d’obstacle.
Ainsi, en décryptant chaque “couche” de la vie d’une Bangladaise, Rubaiyat Hossain nous démontre subtilement en quoi une vision sexiste du monde, intériorisée par chacun et chacune, demeure aujourd’hui le fondement principal d’une société inégalitaire.
Bref, une vraie découverte que je vous conseille d’aller voir à sa sortie (le 4 décembre) et qui m’a donné envie de découvrir le reste de la filmographie de Rubaiyat Hossain. Mon seul regret est qu’il n’y ait pas eu de discussion en salle suite au film (alors qu’il y en a eu pour la plupart des autres projections du programme). On en rediscute à la sortie autour d’un café !