Festival Atmosphères 2020 – Il est plus facile d’affronter les moulins à vent
Quand l’édifice à combattre devient hors de portée, ce n’est pas son volume qui rend la chose complexe, c’est nous. Oui franchement, les moulins à vent, c’est devenu trop facile. Et si Don Quichotte se battait contre des opposants imaginaires, l’ennemi semble être devenu bien réel. Sans perdre de son absurdité. Pour le Festival Atmosphères qui souffle ses 10 bougies cette année, l’enjeu reste plus que jamais de placer la solidarité et l’humain au coeur de son programme. La découverte de trois films de la sélection montre que justement, l’humain n’a jamais été aussi dangereux pour lui-même que quand il se perd dans la bureaucratie des élus ou dans l’appât du gain à échelle mondiale. Faut-il attendre qu’il soit trop tard pour se remettre à espérer ?
Dans Gagarine, le rêve de Youri (Alséni Bathily, belle découverte) est d’aller dans l’espace. Cela vient peut-être du fait qu’il porte le même prénom que le célèbre Russe, premier homme à avoir réussi cet exploit. Peut-être aussi qu’habitant en plus de ça dans un lieu qui porte son nom, la cité Gagarine à Ivry-sur-Scène, Youri ne voit pas ce qui pourrait l’empêcher d’y arriver à son tour. Pas même la vétusté des immeubles, qu’il entreprend de rafistoler comme il peut avec la complicité de Houssam et Diana, jouée par la décidément formidable Lyna Khoudri (Papicha, Les Sauvages et bientôt The French Dispatch). Face à la menace imminente de destruction de la cité, Youri s’accroche à son ambition. En se fabriquant une bulle ultra-sophistiquée, il se crée un nouvel espace vital bien à lui, quitte à perdre pied avec le réel et rêver d’apesanteur.
Ce magnifique premier film de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh invite sur le fond à réfléchir sur la manière dont sont traitées ces zones et leurs habitants. La destruction n’est pas que matérielle, les populations qui y vivent se retrouvent à la rue, sans certitude de retrouver un logement qu’elles auront choisi. À l’aide de sublimes plans aériens qui nous rapprochent toujours un peu plus de son objectif, on suit les tribulations de Youri qui va découvrir la spontanéité de l’amitié et l’amour en morse, en plus de la réalité sociale qui attend ceux qui ne sont pas nés du bon côté du périph.
>> Gagarine : Sortie le 23 Juin 2021
À l’autre bout du continent, d’autres encore s’organisent pour préserver leur équilibre, mais pas n’importe comment. Dans Quand les tomates rencontrent Wagner, la réalisatrice Mariana Economu évoque l’idée qu’on pourrait changer les choses à condition d’y croire très fort. Dans ce documentaire, Christos raconte une parabole, celle de La fille aux fleurs, qui réalise avec amertume qu’on ne peut pas forcer la nature, au risque de la modifier. Christos est avec son cousin à la tête d’une petite entreprise d’agriculteurs grecs qui produisent leurs tomates bio et leur miel dans le petit village d’Elias, où vivent 33 âmes. Le film montre les difficultés qu’ils rencontrent pour pérenniser leur affaire face à la menace globale de Monsanto et de l’exploitation intensive.
Le documentaire manque un peu de chaleur et sa narration un peu linéaire repose sur le principe de simples observations. Si l’on apprend que les tomates en question seraient plus goûteuses à condition de placer dans leur champ une grosse enceinte d’où s’échapperaient les mélodies de Wagner, le reste du film ne nous enseigne malheureusement rien que nous ne savions déjà : les géants de l’agro-alimentaires menacent les structures les plus fragiles au détriment du goût. Il reste néanmoins la rencontre de cette sympathique tribu, travailleuse et soudée, qui essaie de s’adapter au nouveau monde (faut-il remplacer le riz par le quinoa dans les plats cuisinés ?) sans sacrifier la rentabilité ni la qualité.
>> Quand les tomates rencontrent Wagner : 8 Septembre 2021
Non loin d’Elias, on perpétue la démocratie dans son berceau. Dans le post-apocalyptique Last Words, Jonathan Nossiter filme à Athènes les derniers instants de l’humanité dans une ambiance oscillant entre neurasthénie et insouciance joyeuse. On partage ces moments avec la poignée d’hommes et de femmes qui installent leur communauté après avoir survécu à une pandémie (toute ressemblance avec de quelconques événements actuels serait, on l’espère, fortuite). Ils se préservent de la folie grâce au cinéma, aux films joyeux qu’ils projettent sur un vieux drap troué ou à ceux qu’ils tournent, pour archiver la trace de l’ultime activité humaine.
Cette plongée utopique dans le chaos organisé trouble par ses apparences. L’ambiance générale évoque un mix entre un Mad Max sous sédatif et une campagne Vivienne Westwood au milieu des ruines. La force du film se trouve aussi dans son casting – en or – malgré un budget modeste de 2,5M€. Les fidèles Charlotte Rampling et Stellan Skarsgard, mais aussi Nick Nolte, Alba Rohrwacher et le magnétique Kalipha Touray excellent dans cette fin du monde flegmatique où l’on exhorte à célébrer le présent.
>> Last Words : Sortie le 21 octobre 2020
La nostalgie ne paie jamais. L’opiniâtreté en revanche peut rapporter gros, si l’on a suffisamment foi en son objectif. Les héros de ces histoires l’ont tous bien compris et servent de modèles quant à la marche à suivre face à l’absurdité. Ainsi le Festival Atmosphères interroge chaque année l’état du développement durable, qu’il soit humain, social ou matériel. Un regain d’espoir souffle à travers sa sélection qui sont autant de clés pour continuer à améliorer le monde. Sacré programme.