Appel des États Généraux du Cinéma Français : Le Message est passé
Jeudi 6 octobre, les principaux syndicats du cinéma (la Société des Réalisateurs de Films, l’Association Française des directeurs de la photographie Cinématographique ou encore l’Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) ont participé à un grand appel général pour discuter ensemble des problèmes actuels du cinéma français, notamment dûs à la baisse de fréquentation en salle et au manque de soutiens et de considération des pouvoirs publics. Chacun a pu prendre la parole dans une grande salle comble à l’Institut du Monde Arabe de Paris, pour y instaurer un climat particulier et rare : oublier les différents syndicats pour ne faire qu’une collectivité. Comme le dit Saïd Ben Saïd (Producteur – Benedetta, Place Publique…) : “Il s’agit de faire nombre, de créer une force autour d’un grand refuge”.
La réunion brille pourtant par ses absences. Ni les représentants du ministère de la Culture ni ceux du CNC étaient présents. Le FNCF (Fédération Nationale des Cinémas Français) était aussi invité, tout comme ceux qui ne veulent pas cracher dans la main qui les nourrit (où sont les poids lourds et les historiques comme Pathé ? Mandarin ? Chi-fou-mi ?). “Il est important que nous soyons tous réunis, ensemble” rappelle pourtant Yves Cape (Directeur de la photographie – La prière, De son vivant…).
Le cinéma va-t-il disparaître ? Avec la baisse record des entrées en salles (mois de septembre au plus bas depuis 1980, hors 2020) et la multiplication des abonnements aux plateformes de streaming, la question n’est pas vaine. S’ajoute à cela, un public vieillissant et un mécontentement sur le prix des billets (rappelons que le prix moyen d’un billet en France est de 7€). Pourtant, comme le rappelle Etienne Ollagnier (Distributeur, Jour 2 fête – Slalom, Un pays qui se tient sage…), on a souvent anticipé le pire, en témoigne la Une de Paris Match de 1953 qui titre la même question avec Marylin Monroe en couverture. Mais à l’heure où la fréquentation des salles est diminuée de 20 à 30% par rapport à la période pré-covid, l’écosystème du cinéma français est plus que sérieusement menacé.
Charles Tesson (critique, vice-président du Syndicat de la critique française) rappelle qu’il est important de se comparer aux autres. La France a la chance d’avoir un Centre National de la Cinématographie et de l’Image Animée (CNC) comme la Géorgie ou la Corée par-exemple. En ce qui concerne les pays voisins, le climat est plus défaitiste. Le deuxième circuit de salles du monde, Cineworld, dépose le bilan et menace de fermer 600 cinémas entre les États-Unis et le Royaume-Uni. En Espagne, les soutiens publics ont chuté de -40%, en résulte un affaiblissement de la production locale. Enfin, en Italie, alors que la politique culturelle a disparu depuis les années 1980, la crise du Covid a fini d’achever les salles. Les entrées y chutent drastiquement car en l’absence de chronologie des médias (système en France qui compartimente les sorties de la salle jusqu’au plateforme), les films sortent seulement 30 jours sur les plateformes après leur sortie sur grand écran. Cinq cents salles ont ainsi mis la clé sous la porte et une ville comme Venise, qui accueille la Mostra, le deuxième plus grand festival de cinéma du monde, n’a plus un seul cinéma.
Les aides existent mais sont trop légères. C’est en tout cas l’avis de David Thion (Producteur, Les films Pelléas – Un beau matin, En liberté !…) qui rappelle qu’il y a eu 343 millions d’euros d’aides post-Covid dont seulement 30% dédié à l’aide à la création. “C’est une stratégie trop court-termiste”. Les distributeurs alertent aussi : la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak leur a promis 4 millions d’euros d’aides alors que leurs investissements ont chuté de 20% en moins de dix ans. Quand les festivals précisent qu’ils n’ont pas touché la subvention tant promise par l’ex-ministre de la Culture Roselyne Bachelot, Eugénie Filho (Revus et Corrigés) alarme sur les revues papiers. “En plus de la crise du cinéma, nous avons une hausse du prix du papier à subir. À titre d’information, l’aide à la création vidéo du CNC possède cinq commissions par an et distribue plusieurs centaines de milliers d’euros par commission. Leur aide de la revue papier n’a qu’une commission et nous devons nous partager 64 000€ entre une dizaine de revues.” Leur tribune (relayée ici) n’a jamais eu de retour.
Le CNC et son président actuel (actuellement renvoyé devant le tribunal correctionnel pour agressions sexuelles sur son filleul de 21 ans) furent particulièrement pointés du doigt. Le rapport Boutonnat (disponible ici), qui a propulsé sa présidence, prévoit un avenir de financement privé et de fusion entre le cinéma et l’audiovisuel. Dans le même temps, le CNC annonce vouloir des scénarios “plus ambitieux”. Une course à l’excellence organisée avec le plan France 2030 pour occuper les meilleures places mondiales sur la scène internationale mais où le seuil d’éligibilité n’est accessible que pour les producteurs les plus installés, condamnant les autres à des investissements trop importants et pas rentable dans un rythme faible de production. Axelle Ropert (Réalisatrice – La prunelle de mes yeux, Petite solange…) rappelle que Hitchcock était décrié dans les années 1950 et qu’il le serait peut-être resté si les critiques français n’avaient pas insisté sur la qualité intrinsèque de sa mise en scène. Un cinéaste c’est quelqu’un qui cherche et qui se trompe parfois. Sans ça, on a recours à une uniformisation des films. “La mise en scène, c’est la mélodie qui reste quand on a oublié les paroles de la chanson” lui a dit un enfant un jour. Quelqu’un rappelle que les films sont fragiles et invisibilisés : 80% des œuvres occupaient 32% des séances avant le COVID. C’est encore moins équitable depuis.
“Les idées nous les avons, l’ambition aussi” soutient Grégory Gajos (Distributeur, Ad Vitam – Les Amandiers, Les enfants des autres…). Alors, qu’est-ce qu’on fait ? Isabelle Gibbal-Hardy, directrice du cinéma Le Grand Action à Paris, annonce la couleur : investir massivement dans l’éducation à l’image par exemple, pour que les jeunes soient sensibilisés au cinéma. Régler le vaste problème de diversité et de parité. “La reconquête, c’est plutôt elles” dit la réalisatrice Rahmatou Keïta en parlant de Julia Ducournau (Titane, Palme d’Or), Audrey Diwan (L’évènement, Lion d’Or) et Alice Diop (Saint Omer, Lion d’Argent) : trois réalisatrices ne sont pas dans la Une du Film Français (polémique avec sa couverture où il n’y a que des hommes blancs pour la reconquête du cinéma). Ou encore soutenir Le Luminor, menacé de fermeture, rappelle le collectif La Clef. Soutenir les salles indépendantes est indispensable là où par exemple il n’en existe plus aucune dans une ville comme Lille. Ne plus s’afficher par un nom mais par un groupe “Il faut qu’on se protège les uns les autres” soutient la cinéaste Valérie Osouf. Quand la question de la possible non prise en compte de cet appel par les pouvoirs public intervient, Arthur Harari (Réalisateur – Onoda, Diamant noir…) répond : “Tout reste à faire. Le CNC, c’est notre maison. C’est à eux qu’il faut contester. Si là ça ne marche pas alors on passe à la révolte”.
“L’appel des États Généraux du cinéma français” est disponible en intégralité ici.
Crédits Photo : © D. R. (via Box Office Pro).