Dossier 64 by Les Ecrans Terribles
Films

Dossier 64 : l’adieu aux enquêtes du Département V

Alors que le Département V s’apprête à fermer ses portes, le tandem de flics danois Carl et Assad se réunit pour la quatrième et dernière fois afin de déjouer une manipulation vieille de soixante ans dans Dossier 64. Avec une nouveauté cette fois-ci : le cas relaté est bien réel. Autant dire qu’il fait naître des frissons bien particuliers.

Cela fait déjà six ans (pour les Danois) ou quatre (pour nous) que les histoires de Jussi Adler-Olsen nous font plonger dans les méandres de la psyché humaine, non sans malaise il faut bien le dire. Au cours de sa grande saga littéraire, l’auteur danois a su créer un univers glauquissime où les esprits malades se révèlent plus inventifs et meurtriers que jamais. Après nous avoir confrontés à la rancoeur (Miséricorde), la passion (Profanation) et aux ravages de la foi (Délivrance), Louise Vesth – productrice entre autres de Lars Van Trier depuis Melancholia – a choisi de clore les intrigues du Département V en s’intéressant à l’idéologie toxique. À l’image des films précédents, Dossier 64 se déroule sur deux périodes. A notre époque, les inspecteurs Carl et Assad découvrent trois cadavres décomposés derrière le mur d’un petit appartement, tandis que, soixante ans plus tôt, la jeune Nete, amoureuse de son cousin, est envoyée par sa famille dans un centre de soin chargé de “soigner” (avec mille guillemets, vous comprendrez pourquoi) les femmes au comportement malade. C’est-à-dire toute femme choisissant de vivre selon ses propres règles sans s’en tenir à celles imposées par les hommes qui l’entouraient.

Si les enquêtes précédentes n’ont jamais véritablement misé sur le whodunit classique des polars en tous genres (les criminels étaient très rapidement dévoilés), Dossier 64 sort du schéma devenu habituel et nous invite à recoller petit à petit les morceaux d’une intrigue-puzzle où rien n’est vraiment ce qu’il paraît. Ce quatrième film se révèle d’ailleurs particulièrement complexe et nuancé et questionne la culpabilité de la personne qui amène la mort. On aimerait entrer dans les détails, mais il est difficile d’en dire plus sans en dire trop. Comme toujours, et c’est bien ce qui passionne dans les enquêtes du Département V, le malaise est là, tant les convictions des personnages secondaires paraissent hallucinantes, mais somme toute cohérentes lorsqu’on accepte de se mettre dans leurs chaussures quelques secondes (davantage nous filerait vite des haut-le-coeur). La nature humaine est complexe. Les émotions, l’ambition, la vengeance, l’espoir, le désespoir sont à même de corrompre notre jugement, de pervertir notre vision du monde, de malmener nos idéaux. L’écrivain Jussi Adler-Olsen l’a bien compris et l’utilise comme personne.

Dossier 64 by Les Ecrans Terribles
© Henrik Ohsten – Zentropa Productio

Le réalisateur Christoffer Boe (Caméra d’Or à Cannes en 2003 pour Reconstruction) a eu la bonne idée de s’entourer de Nikolaj Arcel, scénariste de Millenium (et vétéran du Département V) et de Mikkel Nørgaard, qui avait mis en scène les deux premiers volets. Leur expertise, couplée à celle d’Adler-Olsen, leur a permis de livrer une histoire sans manichéisme appuyé (même si, disons-le clairement, on couperait bien les couilles de certains protagonistes) et à la résolution plus émouvante qu’on aurait pu le prédire. La franchise n’a jamais eu froid aux yeux quand il fallait représenter la cruauté dont le genre humain pouvait être capable. Dossier 64 ne déroge pas à la règle, et n’hésite pas à présenter frontalement les exactions du personnel soignant sur ses patientes. Et croyez-nous, les violences n’étaient pas que psychologiques. Rien de gratuit pour autant : la haine ressentie pour les “méchants” de l’histoire naît aussi et surtout de ce biais-là : la douleur se ressent dans la chair. Nul besoin d’être une femme pour partager leur souffrance, mais les spectatrices risquent bien de griffer les accoudoirs de leur canapé durant quelques minutes.

En pleine lumière

Si elle s’avère moins sombre et tortueuse que celles de Miséricorde et Profanation (une impression amplifiée par des prises de vues majoritairement diurnes, à l’opposé des canons du Scandi Noir), et moins spectaculaire que le quasi-hollywoodien Délivrance, l’intrigue de Dossier 64 terrifie par sa véracité historique. Car oui, pendant des décennies, des centres de soin oeuvraient à traiter les femmes lesbiennes, insoumises, ou, pour reprendre leurs termes, “lubriques et hystériques”, quitte à employer des moyens drastiques et chirurgicaux lourds, le tout dans une incroyable et stupéfiante légalité. L’énorme succès au Danemark de la franchise du Département V – Louise Vesth estime que la moitié de la population danoise a vu les films – a permis de rappeler, voire même de faire connaître, une sombre facette de l’histoire du pays pour laquelle le gouvernement tarde encore à présenter des excuses. Si Dossier 64 n’est pas l’épisode le plus envoûtant ou le mieux rythmé de la quadrilogie (la fin est particulièrement précipitée), il permet de clore la franchise sur un sujet incroyablement fort et particulièrement malaisant qui, en pleine ère post-#metoo, risque de faire grincer bien des dents.

Dossier 64, de Christoffer Boe. Avec POUR LA DERNIÈRE FOIS Nicolaj Lie Kaas, Fares Fares et Johanne Louise Schmidt. « Scandinoir ». Nationalité : Danemark. Durée : 1h58. Distributeur : Wild Side. Sortie le 6 Mars en e-cinéma.

Élevé dès le collège à la Trilogie du Samedi. Une identité se forge quand elle peut ! Télé ou ciné, il n'y a pas de débat tant que la qualité est là. Voue un culte à Zach Braff, Jim Carrey, Guillermo DelToro, Buffy et Balthazar Picsou.

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