Délits d’initiés : Masterclass Ari Aster au CEFF 2022
Samedi 25 juin, le réalisateur américain Ari Aster donnait une Masterclass dans le cadre du Champs-Élysées Film Festival. Face à une salle comble et attentive, il est arrivé d’un pas voûté, saluant le public conquis avec des petits gestes timides. Groggy par le décalage horaire ou authentiquement surpris d’être là, le concepteur d’Hérédité et Midsommar ne semblait a priori pas comprendre qu’on puisse avoir envie de l’entendre parler de lui, ni de son cinéma. Pourtant, l’attention de l’auditoire était aussi déférente que l’application de la modération, pendue à ses lèvres et à ses longues hésitations. Le petit homme Ari, présenté comme un « maître » et loué pour sa « capacité à captiver », s’est mué doucement sous nos yeux ébahis non pas en figure autoritaire mais en figure de l’Autorité. C’est cependant moins son attitude que celle de l’audience qui interroge. Aucun écho ni aucune relance pour les confidences d’Aster sur l’académisme, qu’il qualifie à mots pas si couverts de « politiquement correct », de son ancienne école l’AFI. Aucune réaction non plus après sa confession sur la véritable motivation derrière son court-métrage de fin d’études, The Strange Things about the Johnsons, un film ironique sur l’inceste, auréolé d’un petit buzz en son temps, à propos d’un fils qui agresse sexuellement son père au sein d’une famille noire. Une motivation qui se révèle être en l’occurrence la provocation. En effet, il explique avoir eu l’idée de ce projet après s’être ennuyé devant un film sur l’Apartheid, réalisé par un autre ancien élève du prestigieux institut à la fin de son cursus, et s’être demandé : « quel est le pire film que je pourrais faire pour faire chier cette école qui adore se faire-valoir avec ses jeunes talents ? ». Il dit renier la démarche aujourd’hui. Mais il n’a pas trouvé d’interlocuteur en face désireux de rebondir sur ses propos. Pourtant, Aster tend volontiers des perches, l’air de ne pas y toucher. Le new-yorkais cérébral n’est pas le dernier à se comparer à un « trou du cul » prétentieux, à citer ses tendances anales au blocage émotionnel ou encore à déplorer ses penchants masturbatoires à l’hyper contrôle derrière une caméra. Mais l’écoute était obstinément docile et consentante. Le maestro malgré lui (ou pas) aurait très certainement pu aller encore plus loin dans la provoc. Mais les meilleures choses ont une fin et l’histoire ne dira pas s’il aurait pu trouver des volontaires pour le sacrifice humain parmi ses adorateurs. On n’aurait pas été surpris. Sans avoir eu l’occasion de poser de question au milieu d’une petite mer de mains levées fébriles, on retiendra, au milieu d’informations plus convenues, l’enseignement qu’il considère à ce jour inestimable, transmis par un de ses anciens professeurs de l’AFI qui assimile l’art de la narration cinématographique à l’exécution d’un délit (« mischief making »). C’est bien noté Ari.
Crédits Photo : Midsommar © D. R.