We Are Lady Parts : Jeunes et Muslims
Cinq jeunes femmes musulmanes qui n’ont pas besoin d’être sauvées, se soutiennent, s’engueulent, se remettent en question et surtout s’expriment : c’est le pari de We Are Lady Parts. Cet objet britannique insolent et joyeux non identifié fait rêver par sa liberté de ton et le propos résolument moderne qu’il défend sous ses airs juvéniles.
We are Lady Parts c’est l’histoire d’Amina Hussein, 26 ans, Capricorne et doctorante en microbiologie à Londres. Une indécrottable sentimentale qui rêve d’un prince charmant adepte des cinq prières par jour, tout prêt à l’épouser. Bridget Jones musulmane 2.0, elle porte le voile et voue une passion étonnante au chanteur de folk Don McLean. Sa quête de romantisme va l’amener à croiser la route d’un groupe de punk féministe musulman, We Are Lady Parts, qui cherche une deuxième guitariste en prévision d’une importante audition. Amina ne veut a priori pas en entendre parler, incapable de monter sur scène sans être sujette à de violentes nausées causées par l’anxiété. Mais la perspective d’un tête-à-tête avec son prince babylonien ténébreux préféré va la faire changer d’avis. La suite va vous étonner : son existence et ses certitudes en seront toutes chamboulées.
« Enfin » ! C’est la première réaction devant la création originale de Nida Manzoor, qui nous oblige à constater les dizaines d’années de retard en termes d’inclusivité dans la fiction du Vieux Continent. Toutes les jeunes femmes de la série sont pratiquantes, une foi qu’elles vivent chacune à leur manière et qui ne sera pas questionnée. La religion n’est pas le cœur du sujet même si le rapport au religieux et à la conformité traverse toutes les histoires. Portées par un élan créatif qu’Amina qualifie de « 1/3 ennui, 2/3 crise d’identité », les We Are Lady Parts sont en effet toutes musulmanes, musiciennes et autre chose : chauffeur Über, maman, anarchiste, lesbienne, etc… Manzoor crée un espace de complexité inédit pour une catégorie de personnages traditionnellement réduits au petit bout de la lorgnette.
Si la série laisse volontiers sa place à l’émotion, avec notamment le très beau personnage de Saïra, écorchée solitaire pour qui exprimer sa vulnérabilité est une torture, l’humour est omniprésent. Mais il n’est là ni pour dévaluer, ni pour négocier avec une partie du public qui préférerait rester bloqué sur des préjugés. Le contexte est posé sans dogmatisme, ni prétention. Et derrière l’aspect léger pointe un message libérateur : “tout le monde est bienvenu mais on va définir le cadre de la discussion”. La force du parti pris réside dans le regard neuf porté sur la notion de communauté, très volontiers considérée comme péjorative dès qu’on évoque les musulmans. Le groupe hétérogène et soudé formé par Amina, Ayesha, Saïra, Bismat et Momtaz est à la fois un lieu de compréhension et de confrontation de points de vue. D’ailleurs le choix du punk est très fort puisque faire du punk, c’est accepter de faire une musique qui n’est pas pour tout le monde.
La série facilite l’identification à Amina, archétype de l’ingénue, qui va suivre précisément cette trajectoire d’acceptation d’elle-même et d’émancipation du jugement des autres. Une voix off retranscrit ses pensées et contradictions, et des séquences musicales représentent ses fantasmes ou son état émotionnel. En plus d’être d’être très (très) fleur bleue, Amina incarne aussi ce qu’on pourrait appeler le syndrome Keanu Reeves, c’est-à-dire le syndrome de l’Élu. En effet, elle possède un talent brut qu’elle ne mesure pas et qu’elle ne maîtrise pas mais que d’autres perçoivent à sa place. Du caviar pour les spectatrices, et les spectateurs que nous sommes, qui rêvent tous un peu d’être un jour reconnu.e.s comme un génie.
Énergique et enjouée, la série incarne un paradoxe très contemporain : comment être accepté sans renoncer à une partie de sa culture ou de sa personnalité. On apprécie beaucoup que la question ne soit pas résolue dans la pensée magique. Les rêves sont réévalués et les victoires mises en perspective. Même la notion de sororité est habilement nuancée. Oui, on peut très bien être discriminé et opportuniste, c’est possible. Sous ses airs légers, We are Lady Parts, s’empare en toute décomplexion de nombreux sujets avec une sensibilité audacieuse et personnelle : il est question d’intégrité, de marginalité, de conformisme et de pression sociale, de vulnérabilité, de solidarité, et bien sûr de quête de reconnaissance et d’amour. On en ressort aussi galvanisé qu’exigeant. À quand des équivalents made in France ? On ne sait pas, mais on attend impatiemment la saison deux.
Créée par Nida Manzoor. Avec Anjana Vasan, Sarah Kameela Impey, Faith Omole… Grande-Bretagne. Genres : Comédie, Musical. En intégralité sur BrutX.
Crédits Photo : © Channel 4.