Vent chaud : Spectre érotique
Couronné du Grand Prix du Jury au Festival Chéries-Chéris, qui s’est tenu à Paris début juillet, Vent Chaud vient réchauffer un été 2021 trop souvent gris avec une sortie en salles prévue le 11 août.
Sandro, employé d’une compagnie minière, passe une partie de son temps libre à faire l’amour avec son collègue Ricardo dans des coins de nature désertés. Il se rend aussi régulièrement à la piscine municipale où ses yeux se posent sur Maicon, un bel homme inaccessible. Le désir de Sandro pour cet Apollon, qui ne le remarque pas, va rapidement tourner à l’obsession.
C’est l’été. Le temps de la sensualité, des regards tour à tour échangés puis évités, du soleil contre la peau, des peaux qui s’effleurent et se touchent, des corps qui se dévoilent et se dérobent. Le temps du chassé-croisé entre rêve et réalité, le temps de se laisser aller au fantasme. Tout un univers, une diégèse que Vent chaud évoque déjà avec son titre : en effet, le film d’été est véritablement devenu un sous-genre du film romantique LGBT. Les exemples sont nombreux, de Call me by your name réalisé par Luca Guadagnino aux Roseaux sauvages d’André Téchiné, en passant par le déchirant Été 85 de François Ozon, sans oublier l’un de mes petits chouchous, moins connu, Presque rien de Sébastien Lifshitz. L’été est décidément la saison toute désignée pour les films romantiques gays. Bien sûr, le spectre dramatique évolue considérablement d’un film à l’autre, du flirt sensuel et léger à la grande histoire d’amour tragique et épique. Le curseur de la pudeur, quand il s’agit de montrer des corps ou des actes sexuels, varie lui aussi énormément. Clairement, Vent chaud joue à fond la carte de l’explicite. La température va grimper, et il est préférable d’en être averti avant d’aller voir le film, car la caméra ne se refuse à aller nulle part. Au point de paraître intrusive dans les premières minutes du film ; les scènes de sexe sont en effet très crues à ce moment-là. Quand Sandro retrouve Ricardo dans la forêt, on sent une bestialité évidente entre ces deux corps, comme s’ils étaient faits pour se rencontrer et se toucher. Une évidence telle qu’elle ne semble naturellement pas s’embarrasser de grands sentiments, en témoigne l’attitude dédaigneuse que Sandro peut parfois témoigner à son amant Ricardo.
À la vue de ces premières scènes, nous naviguons sans tourment sur les eaux du film érotique. La question des sentiments paraît presque superficielle : les plaisirs charnels semblent se suffire à eux-mêmes. Soudain surgit le personnage de Maicon, sujet de tous les fantasmes de Sandro malgré le mépris évident du Casanova inabordable pour notre héros. L’apparition du troisième protagoniste change la donne : Sandro est désormais en quête d’un corps qu’il ne peut toucher.
Les cartes sont brouillées entre rêve et réalité. Les scènes complètement fantasmées par l’esprit très créatif de Sandro et les moments plus triviaux du quotidien (au supermarché, dans la compagnie minière, à la piscine municipale) se succèdent sans effet de rupture. Ces séquences ont en commun un érotisme à toute épreuve : les corps semblent perpétuellement en attente de quelque chose, et chaque figurant dans le décor représente un potentiel sexuel non négligeable aux yeux de Sandro. Ce qui différencie le réel du rêve, c’est que le monde fantasmé fait sans se priver usage de filtres colorés et convoque des visuels kitsch et BDSM complètement assumés. On se laisse porter d’un univers à l’autre sans se poser de questions, et sans qu’on s’en aperçoive, le ton du film prend une tournure inattendue. La caméra, avide de pénétrer corps et décors, nous entraîne avec elle dans son élan perpétuel de zooms et de travellings avant de se calmer peu à peu. Elle se montre plus réservée, désormais moins tête brûlée et plus contemplative. Nous comprenons une chose avec cette scène où Sandro se met à fantasmer sur le robinet de douche que Maicon vient de toucher sous ses yeux : après avoir essayé de pénétrer le décor, Sandro aspire à s’y fondre pour y disparaître. Il rêve de devenir cet interrupteur que Maicon pourrait ouvrir et fermer à volonté. Ainsi il pourrait vivre sous les doigts de cet homme et ne plus subir ses propres désirs qui le tourmentent.
On sent en effet que la libido puissante de Sandro (elle va lui faire ressentir de la jalousie, et se traduira par des actes regrettables) est parfois vécue comme un fardeau. Son corps a quelque chose de très viril et mature. Paradoxalement, la façon qu’a l’acteur Leandro Faria Lelo de camper ce corps si sexualisé est souvent enfantine et innocente. Comme s’il était embarrassé par cette intarissable quête sexuelle qui provoque en lui un sentiment d’inadéquation au réel. Ce sentiment n’est jamais évoqué dans les dialogues du film, mais égrené avec subtilité par le jeu d’acteur et la mise en images de l’histoire. De nombreux plans et décors transpirent un sentiment de solitude qu’on ne soupçonnait pas dans les premières minutes du film. De manière générale, le ton de Vent Chaud, même s’il garde tout du long son humour distant et son érotisme provocateur, nous emmène vers des profondeurs que l’on n’aurait pas augurées. Par exemple, la collègue et amie de Sandro, grande gueule obsédée par les luttes sans issue de son syndicat, qui nous apparaît au début comme un faire-valoir humoristique sans grand intérêt, délivre vers la fin du film un monologue amer particulièrement marquant. La portée de cette tirade, aussi bien politique qu’existentielle, donne à plus d’un titre le vertige. Elle dénonce un gouvernement brésilien qui regarde ses ouvriers d’en haut sans vraiment les considérer. Elle dénonce aussi une existence humaine dont la vacuité paraît aussi évidente qu’absurde. Cette scène apparaît comme le moment le plus sombre du film, bien qu’ayant lieu en plein jour. Elle est contrebalancée par une autre séquence qui, bien qu’elle ait lieu de nuit, est radicalement plus lumineuse : Maicon rejoint Sandro dans une attraction de fête foraine (un Speed » ou « Booster », pour être précis). Ils ne se sont encore jamais vraiment rencontrés. Maicon, terrifié, agrippe la main de cet inconnu qu’est Sandro pour se rassurer. Il ne lâchera pas cette main de toute l’attraction, et Sandro ne quittera quant à lui pas Maicon des yeux. Cette magnifique scène nous donne à voir deux âmes qui se rencontrent, transportées par des véhicules (leur corps, le Speed) qui les élèvent à des hauteurs et des vitesses auxquelles elles n’étaient pas préparées. Spontanément, celles-ci se rassurent mutuellement. Ces deux moments-clés entrent en résonance : face au vertige que provoquent certains questionnements existentiels terrifiants, on peut lui opposer son contrepied, tout aussi puissant, celui du moment d’humanité, de l’amour. Vent chaud nous donne à voir les deux faces d’une même pièce : l’érotisme, depuis toujours pulsion de vie et pulsion de mort.
Réalisé par Daniel Nolasco. Avec Leandro Faria Lelo, Allan Jacinto Santana, Rafael Teóphilo… Brésil. 01h50. Genre : Comédie dramatique. Distributeur : Optimale Distribution. Grand Prix du Jury au Festival Chéries-Chéris 2021. Sortie en salles le 11 Août 2021.
Crédits Photo : © Optimale distribution