Un Monde : Fosse aux lionceaux
Filmé à hauteur d’enfants, le premier long métrage de Laura Wandel met en images de façon quasi documentaire la violence et le harcèlement scolaire qui transforme parfois les cours d’écoles en calvaire. Un film choc qui dépeint crûment le saut des enfants dans l’arène du monde.
Le film s’ouvre sur la petite Nora (Maya Vanderbeque) pleurant à chaudes larmes, accrochée fermement à son papa (Karim Leklou). C’est son premier jour à l’école primaire et elle compte bien sur son grand frère Abel (Günter Duret) pour la guider dans son intégration scolaire et ce, même si son père lui glisse à l’oreille que son aîné ne sera pas toujours là pour la protéger. Abel lui promet qu’ils se retrouveront à l’heure de la récréation et la repousse au moment fatidique, lui expliquant que ses copains terrorisent les petits nouveaux et qu’elle ferait mieux de ne pas s’éterniser dans le coin. Nora s’entête et reste à ses côtés lorsque « les grands » lui tombe dessus, obligeant finalement son frère à la défendre. Un acte fraternel louable bien que normal, qui signe pourtant le changement de clan brutal d’Abel. Jusque-là tortionnaire, il devient le souffre-douleur d’une poignée de ses camarades de classe. Nora, se sentant forcément fautive, se retrouve alors embarquée dans un terrible conflit de loyauté : d’un côté son père qui l’incite à réagir, de l’autre son frangin qui lui répète constamment de garder le silence. Tout cela s’accumule à la nécessité pour Nora de s’intégrer dans cette fosse aux lionceaux.
En choisissant de placer son film dans une cours d’école, Laura Wandel s’attache à mettre en lumière l’enfance et le moment des premières découvertes, pas toujours roses et heureuses, ainsi que l’expérience scolaire qui détermine en partie la construction de son moi intérieur et la vision du monde que nous aurons à l’âge adulte. Car une cour de récréation n’est ni plus, ni moins qu’une micro société dans laquelle il faut s’intégrer et surtout trouver sa place au sein de la communauté. Une quête difficile, puisque le rapport de force et de hiérarchie varie d’un individu à l’autre, où il est si aisé de se retrouver exclu et isolé : des lacets que l’on ne sait pas faire, un papa qui ne travaille pas catalogué de « chômeur paresseux », un frère qui « sent la pisse » et se fait martyriser… Il n’en faut pas plus pour que Nora se retrouve mise sur la touche par ses amies, après avoir rejeté vainement son frère devant tout le monde pour mieux sauver sa peau auprès de ces nouvelles amitiés. Le film « à hauteur d’enfant » a souvent été évoqué, mais il prend une dimension tout à fait littérale ici, la caméra (souvent portée) de la réalisatrice restant constamment au niveau de la taille de sa jeune interprète Maya Vanderbeque, impressionnante de justesse.
Le spectateur, dont les yeux s’humidifient régulièrement, voit le monde tel que le vit Nora. Les adultes sont quant à eux quasiment absents, apparaissant brièvement sur les plans, et dépeints comme des êtres aveugles ou inefficaces face à la situation, réagissant au mieux avec un train de retard. Mais comment leur en vouloir ? Les institutrices, notamment, sont débordées par le surplus d’enfants. Incisif et âpre, le point de vue du film distille la violence de l’école et les relations parfois rudes qu’entretiennent les enfants entre eux. Laura Wandel réussit un tour de force en plongeant le spectateur dans l’univers hostile et éperdument dur de l’enfance en traitant avec tact, finesse et originalité le thème pourtant éculé du harcèlement scolaire qu’elle éclaire sous un nouveau jour. Un Monde est un film coup de poing, immersif et abrupt qui ne rassurera pas les parents, mais les rendra probablement bien plus vigilants.
Réalisé par Laura Wandel. Avec Maya Vanderbeque, Günter Duret, Karim Leklou… Belgique. 01h13. Genre : Drame. Distributeur : Tandem. Présenté dans la sélection Un Certain Regard au Festival de Cannes 2021. Sortie le 26 Janvier 2022.
Crédits Photo : © Tandem.