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The White Lotus l Saison 1 : Satisfaction garantie ?

De riches touristes blancs viennent dissoudre leur vague à l’âme sur l’écume des lagons hawaïens et confier leurs besoins de réconfort aux mains expertes du staff zélé d’un hôtel de luxe niché sur un motu enchanteur. Vous en avez peut-être entendu parler, il s’agit de The White Lotus, la série phénomène de cet été. Une promesse de visionnage légère et ensoleillée ? Un moyen palliatif de gérer la brutalité de la rentrée ? Méfiez-vous des apparences, car sous le décor paradisiaque se cache une satire acérée. Et la mini-saison de six épisodes créée, écrite et réalisée par Mike White (Enlightened, The School of Rock, The Lego Movie) distille au compte-goutte le malaise et les sentiments contraires dont on souhaite précisément se débarrasser quand on a les moyens de se payer des vacances de rêve. 

Cette critique contient de légers spoilers.

Seul à la tête de cette nouvelle création originale HBO, commandée pour répondre à un besoin de contenus rapides en cette période de restrictions Covid, Mike White explique avoir pris comme point de départ la désillusion d’un couple de jeunes mariés en lune de miel. Inspiré par sa propre expérience de l’archipel d’Hawaii, qu’il connaît pour y avoir fait des séjours en famille étant enfant et pour y posséder une maison secondaire pas loin de Mark Zuckerberg, il tisse une toile minutieuse et contrastée dans l’arène d’un hôtel cinq étoiles. Il construit ainsi un petit monde de luxe qui grossit à la loupe les paradoxes d’une classe supérieure en quête de sens, consciente des échos du monde sans pour autant être obligée de se sentir concernée. La problématique touche en effet White directement, lui qui avoue ne pas toujours comprendre comment il peut être à la fois un outcast homosexuel sentimental et un homme privilégié. Les interviews généreuses données à l’occasion de la promotion de The White Lotus sont passionnantes et apportent un éclairage subsidiaire à ce show qui incarne avec une transparence singulière des enjeux très actuels : qui peut raconter les histoires, pour qui et dans quel but ?

Mais The White Lotus n’est pas une austère expérience didactique. White, échaudé par l’échec de sa précédente série Enlightened boudée par le public malgré un succès critique, a choisi cette fois des ingrédients d’efficacité. Une île au soleil, un cadavre, un mystère, des gens beaux et désœuvrés, une tension dramatique fouettée aux percussions exotiques : le cocktail a priori parfait pour un visionnage sucré sans prise de tête. Mais à l’image des ombres portées et des tâches qui diluent le papier peint tropical idyllique du générique de début, une sensation sourde nous étreint très vite, comme un avertissement. Surtout ne vous attachez pas trop vite au Paradis, il y a quelque chose de pourri au royaume du Lūʻau. L’histoire repose en effet sur un parallèle écrasant entre les clients de l’hôtel éponyme, The White Lotus, et les employés qui s’affairent pour satisfaire tous leurs désirs et rendre leur séjour inoubliable en prenant soin de s’effacer le plus possible, pour ne pas troubler l’esprit des VIP avec des informations qu’ils n’ont pas envie de traiter. Comme par exemple un accouchement imminent qui passera quasi inaperçu. Ou encore l’histoire des populations locales forcées de travailler, et de danser, pour la compagnie qui les a expropriées de leurs terres ancestrales. Comme dans la vraie vie, la symétrie n’est pas respectée dans le traitement du récit entre la clientèle et la piétaille. Une raison concrète à cela : l’interdiction pour raison sanitaire de tourner en dehors du Four Seasons Maui qui a servi de décor à Mike White et son équipe. Et donc l’impossibilité de filmer les personnages du staff en dehors du complexe hôtelier fictif. Ce qui de fait contribue plus ou moins volontairement à renforcer la déshumanisation des gens d’en bas. 

© HBO.

Upside Down

Il faut dire que les personnages des clients sont pour la plupart très bien écrits, avec une audace acerbe non dénuée de tendresse. Une expertise sans doute due à la familiarité de White avec son sujet et guidée par une volonté d’honnêteté, brutale à défaut d’être radicale. Le showrunner l’explique dans Vulture : “The point of art is to reflect something that feels true and conflicted!”. C’est-à-dire, librement traduit, le but de l’art est de donner à voir la sensation d’une vérité contradictoire. Un programme ambitieux qui place la série dans une zone improbable. The White Lotus est un objet sophistiqué avec des microdoses de kitsch acides. Comme si le propos politique de Gosford Park était greffé sur le lustre mélodramatique inoffensif de Downton Abbey (créé par le même Julian Fellowes qui signait le scénario du film de Robert Altman). En effet, si White explore les thématiques de colonialisme, de racisme et d’impérialisme, et les positions défensives des dominants sur ces sujets, il commence la série comme il la termine : par un plan sur un riche homme blanc. Certes, ce n’est pas le même homme, ni le même contexte. Shane Patton, héritier d’un empire immobilier intolérant à la frustration interprété par Jake Lacy, ouvre le bal alors qu’il est assis seul et contrarié dans un hall d’embarquement. Mais c’est Quinn Mossbacher, un adolescent taciturne en rupture avec sa famille névrotique, qui referme la danse alors qu’il pagaie au milieu de l’océan Pacifique avec ses nouveaux amis locaux, persuadé d’avoir trouvé un nouveau sens sacré à son existence. Un parti pris assumé par White, qui ne cache pas ses propres aspirations spirituelles et sa quête de dépassement de soi. Il ne tarit d’ailleurs pas d’éloges sur sa participation à l’émission de télé-réalité Survivor dans une édition David contre Goliath, où il faisait à sa grande surprise partie des Goliaths.  

The White Lotus est une série étrange, brillante à défaut d’être toujours plaisante. Elle agace parfois en s’attardant dans la contemplation de sa propre esthétique et reste en surface de ses thématiques. Elle réussit cependant à placer le spectateur dans une position a priori impossible : prendre plaisir à juger les clients pourris par l’argent,  tout en étant forcé de reconnaître en eux le dominant privilégié plus ou moins enfoui en chacun de nous. Que celui qui n’a jamais apprécié un geste commercial délicieusement gratuit jette donc la première pierre. Néanmoins, à l’exception de Quinn et son échappée finale ambiguë, on ne se fait aucune illusion sur les mécanismes qui permettent aux vacanciers de rentrer chez eux à la fin de leur séjour en réussissant à se persuader que leur vie est formidable. Les violences sourdes qui rendent ce déni possible sont très bien incarnées par l’effacement des vies subalternes et la corruption de tout lien affectif désintéressé. De plus, The White Lotus a le mérite de créer non pas du simple buzz mais une véritable conversation. La revue américaine autoproclamée socialiste Jacobin Mag lui consacre un article d’analyse. Les essayistes homosexuels de la pop culture Tom and Lorenzo décortiquent la caractérisation du personnage tragique d’Armond, gérant de l’hôtel aux nerfs fragiles qu’ils soupçonnent avec beaucoup de perspicacité de s’appeler en réalité Arnold. Les persistantes Jennifer Coolidge et Molly Shannon obtiennent toutes les deux un couronnement médiatique amplement mérité pour l’interprétation intrépide de deux quinquagénaires hors-sol, terrifiantes chacune à leur manière. Reddit s’enflamme de son côté sur le logo universitaire imaginaire Bardo, ornant le sweat-shirt de la cynique (et lesbienne refoulée ?) Olivia Mossbacher, tandis qu’on répertorie les lectures pontifiantes qu’elle partage au soleil avec sa demoiselle de compagnie métisse, Paula, activiste par procuration qui se fait offrir le séjour et cause de grandes catastrophes au nom de son idéalisme. Bref, la série capte indéniablement l’agitation de l’air du temps et retranscrit avec acuité la phobie de la lucidité chez une classe dominante incapable de faire face à l’idée de son impuissance. Il n’est donc peut-être pas encore temps pour Mike White de “quitter la scène gracieusement et d’aller s’enterrer dans un trou”. Sans compter que ce ne serait pas très satisfaisant. 

Créée par Mike White. Avec Murray Bartlett, Connie Britton, Jennifer Coolidge, Alexandra Daddario… États-Unis. 6 Épisodes x 60 minutes. Genres : Comédie, drame. En intégralité sur OCS.

Crédits Photo : © HBO.

Fairouz M'Silti est réalisatrice, scénariste et directrice de publication des Ecrans Terribles. Elle attend le jour où la série Malcolm sera enfin mondialement reconnue comme un chef d'oeuvre.

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