The Innocents : Le Mal Bambin
Après Blind (2014), Eskil Vogt fait un retour en puissance dans les salles obscures avec The Innocents, son deuxième long métrage. Le réalisateur et scénariste norvégien livre un thriller authentique, aussi fascinant que glaçant, qui réveille nos souvenirs d’enfants les plus enfouis.
The Innocents s’ouvre sur le visage angélique de la petite Ida (Rakel Lenora Fløttum), assise sur la banquette arrière de la voiture familiale aux côtés de sa grande sœur Anna (Alva Brynsmo Ramstad), atteinte d’un autisme régressif. Elles viennent d’emménager dans une cité HLM entourée de forêt et s’apprêtent à passer l’été entre leur nouvel appartement, le terrain de foot et les aires de jeux. Lorsqu’elles croisent la route de Ben (Sam Ashraf) et Aisha (Mina Yasmin Bremseth Asheim), les quatre bambins se découvrent d’étonnants pouvoirs de télékinésie et de télépathie qui communiquent et s’additionnent entre eux. Ils tentent alors de tester leurs limites, loin du regard des adultes. Mais ce qui semblait être au départ de simples jeux d’enfants prend peu à peu une tournure inquiétante. En mettant en scène une bande d’enfants entre sept et onze ans, Eskil Vogt questionne le rapport des pré-adolescents au monde, et les expérimentations maladroites que l’on peut faire durant cette période a priori innocente afin de comprendre ce qui nous entoure. Le film parvient avec intelligence et subtilité à nous replonger dans cette époque où les sensations, l’ouverture aux autres, à son environnement et même la notion du temps semblent différents. Le rapport à la rationalité, que l’on acquiert en devenant adulte, est également évoqué par le biais des actions parfois cruelles des protagonistes, qui repoussent toujours plus les limites de leurs capacités surnaturelles, quitte à causer des dégâts irrémédiables.
The Innocents nous rappelle crûment que l’enfance, associée volontiers à la bienveillance et la nostalgie, n’est pas toujours heureuse comme on aime pourtant se leurrer à le croire, mais bel et bien parsemée de terreurs amplifiées par la découverte de l’inconnu et par le pouvoir infini de l’imagination. Le point de vue de l’auteur suinte à chaque séquence : l’enfant vit finalement au-dessus du bien et du mal puisqu’il n’est pas encore doté d’empathie et de morale. Eskil Vogt ne cautionne cependant pas les actes parfois diaboliques de ces personnages, mais nous montre de façon glaçante l’apprentissage des piliers psychologiques qui feront de ces enfants des personnes capables de vivre en communauté, ou pas. Un sujet pesant dont le malaise diffus trouve un contrepoint parfait avec une mise en scène colorée et lumineuse. L’intensité du film émane également des quatre jeunes comédiens brillants et de leur panel d’émotions non verbales capturées avec virtuosité par le chef opérateur Sturla Brandth Grøvlen (Victoria, Drunk, Wendy). Des non-dits et des silences qui décuplent le trouble, la peur et l’appréhension du spectateur face à ces protagonistes dont on redoute les faits et gestes à chaque séquence. S’il est intense dans son parti pris, The Innocents vaut pourtant la peine d’être découvert sur grand écran, notamment pour ses instants de grâce hors du temps et son final dénué de dialogues qui vous retournera longtemps. Le terme « claque » me paraît souvent réducteur pour qualifier un coup de cœur, mais il me semble tout à fait approprié ici, tant The Innocents est une expérience unique et introspective.
Réalisé par Eskil Vogt. Avec Rakel Lenora Fløttum, Alva Brynsmo Ramstad, Sam Ashraf… Norvège, Suède, Danemark, Angleterre, France, Finlande. 01h57. Genres : Thriller, Drame. Présenté dans la sélection Un Certain Regard au Festival de Cannes 2021. Prix de la Critique et Prix du Public au Festival du Film Fantastique de Gérardmer 2022. Interdit aux moins de 12 ans. Distributeur : Les Bookmakers / Kinovista. Sortie le 9 Février 2022.
Crédits Photo : © Les Bookmakers / Kinovista.