She Said : Le temps d’entendre
Dans la lignée des Hommes du Président (Alan J. Pakula, 1976) ou de Spotlight (Tom McCarthy, 2016), She Said est une nouvelle plongée cinématographique analysant la publication d’une enquête. Qu’il traite d’un scandale politique, sexuel ou criminel (ou des trois en même temps, avec un peu chance), le cinéma de journalisme d’investigation satisfait un appétit pour le fait divers dans tout ce qu’il a de révélateur d’une société ainsi qu’une soif de justice. Il offre surtout un point de vue éclairant sur des méthodes d’informations de plus en plus remises en cause, à l’heure où la presse écrite décline et où chacun est libre d’établir une opinion grâce aux fameux « faits alternatifs ». She Said de Maria Schrader retrace ainsi la fabrication d’un article qui secoua bien plus que le monde du cinéma : l’affaire Weinstein.
New-York, 2016. La journaliste Jodi Kantor (Zoe Kazan) enquête sur les accusations de viol contre celui qui est sur le point d’être élu homme le plus puissant du monde. C’est un Donald Trump terrifié et menaçant qui vocifère dans le haut-parleur, hurlant des mots comme menteuse, diffamation ou procès. Voilà pour le cadre, qui a pour but d’insister sur l’état d’esprit qui régnait il n’y a encore pas si longtemps sur ce type d’affaires, qu’on se trouve du côté des plaignantes ou des reporters. Au New York Times, Jodi Kantor est impuissante face à celui qui est depuis devenu Président des États-Unis. L’occasion se présente alors de collaborer avec Megan Twohey (Carey Mulligan), une autre journaliste de la maison, sur un nouveau sujet pourtant pas si éloigné : les accusations de harcèlement et d’agressions sexuelles contre Harvey Weinstein. C’est ainsi que sort le 5 octobre 2017, après des mois d’enquête, l’article dont la publication transformera non seulement leur carrière, mais créera surtout un précédent en bousculant tout un équilibre précaire d’omerta et de terreur.
Êtes-vous une féministe ?
C’est avec ce genre de question ambigüe, posée sous forme de menace dissimulée (par une femme), que les deux reporters comprennent qu’elles sont sur la bonne piste. La mise en scène prend soin d’exposer leur méthode de travail, opiniâtre et minutieuse, ainsi que leur intégrité humaine et professionnelle, et ce, malgré des menaces de plus en plus violentes et explicites. Dans un monde où les femmes sont encore vues par beaucoup comme des objets sexuels, être attaquée sur son féminisme présumé n’est pas anodin. À croire qu’il n’y a rien de plus effrayant que des femmes qui se mettent à penser à leurs semblables pour les aider.
C’est la clé de toute cette histoire, celle qui a rendu possible la publication de cet article dans l’un des quotidiens américains les plus influents, renforcé son écho et initié le cataclysme qu’a été le mouvement #MeToo. De l’aveu de Kantor et Twohey elles-mêmes, les femmes peuvent avoir plus d’impact ensemble que séparément. Et en l’occurrence dans leur cas, rafler le prix Pulitzer. Le film démontre avec finesse qu’il ne s’agissait pas seulement de faire tomber l’odieux Weinstein, Jupiter du cinéma américain pendant plus de 20 ans, mais d’exposer, pour mieux l’abattre, tout le système de prédation patriarcale qui rendait possibles les agissements de l’ex-producteur, qui purge actuellement une peine de 23 ans de prison.
Au rythme de la partition inspirée de Nicholas Britell (Succession), on note le soin avec lequel a été traitée la partie la plus sensible du scénario : la mise en lumière de la peur des victimes. Maria Schrader filme leur difficulté à accepter de parler et le courage que cela demande pour y parvenir alors qu’elle sont rendues muettes par des accords financiers ou la crainte de représailles sociales ou judiciaires. Pourtant, l’un des enjeux d’une telle opération est de montrer à quel point il est crucial que les victimes acceptent de témoigner publiquement, sans quoi la publication ne peut pas voir le jour.
La revanche d’une brune
La grande réussite de She Said tient à plusieurs facteurs, notamment la manière dont sont dépeintes les protagonistes elles-mêmes. Ici, point de journaliste bouffée par son enquête au point de bousiller sa vie privée, à la façon de Robert Graysmith (Jake Gyllenhaal) dans Zodiac ; point non plus de sensationnalisme mal dosé, pourtant facile à inclure avec une telle charge émotionnelle. Si l’on ne perd pas une ligne de cette histoire abordée d’un point de vue globalement progressiste, c’est grâce à l’effarante description des faits, mais surtout, à la volonté de coller au plus près de la réalité, par exemple lors d’une séquence glaçante dans laquelle est diffusée un authentique enregistrement du harceleur proférant des menaces. Plus encore, en faisant figurer dans son propre rôle l’actrice Ashley Judd, réelle victime de Weinstein, la réalisatrice lui offre une tribune en or qui décuple la portée de son récit. Cette intervention poignante apporte des éléments de réponse à l’interrogation que formule la rédactrice en cheffe jouée par Patricia Clarkson à un moment donné : pourquoi le harcèlement sexuel est-il si difficile à aborder ? Si le sujet est bien trop complexe pour aboutir à une réponse exhaustive, She Said facilite néanmoins l’examination de cette question de manière passionnante.
Réalisé par Maria Schrader. Avec Carey Mulligan, Zoe Kazan, Patricia Clarkson… Etats-Unis. 02h09. Genres : Drame, Biopic, Judiciaire. Distributeur : Universal Pictures International France. Sortie le 23 Novembre 2022.
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