Rouge : Lanceur d’alerte malgré elle
Deuxième long métrage du réalisateur Farid Bentoumi, Rouge porte de forts enjeux écologiques, sanitaires et sociaux. Un film engagé dépeignant une réalité très actuelle qui peine cependant à dynamiser son récit.
Quand Nour Hamadi, jeune infirmière, entre dans le monde de l’industrie lourde et en découvre les dangers sanitaires et environnementaux, elle tente de faire changer les choses. Alors que l’usine est en plein audit et que les élections locales approchent, Emma, une journaliste indépendante, mène l’enquête sur la gestion des déchets toxiques dans la région. Face à la vérité, Nour va devoir choisir : se taire pour protéger les siens, ou les trahir, pour faire éclater le scandale.
D’emblée, le thème écologique s’impose. L’usine et la pollution qu’elle engendre sont au cœur du propos. Les corps des ouvriers, épuisés par un travail physique et dangereux, sont aussi mis en danger par le manque d’équipements de protection. Ils sont exposés à des produits qu’ils manipulent et respirent sans en connaître la toxicité et sans pouvoir s’en protéger. Dès le départ, Nour tente de les alerter sur ces dangers, mais telle Cassandre, elle parle dans le vide et ne reçoit que de l’indifférence et du mépris : d’abord parce que c’est une femme dans un monde essentiellement masculin, mais aussi parce qu’elle a été embauchée grâce à Slimane, le délégué syndical qui n’est autre que son paternel. D’un côté, la figure d’un père respecté professionnellement et chéri par sa famille ; de l’autre, la fille revenue dans le giron familial après une erreur professionnelle. Cette relation déséquilibrée père-fille construit le film : la croisade de Nour pour faire éclater la vérité lui permet en parallèle de s’émanciper de son père, qui l’a élevée seul, un homme paternaliste qui n’hésite pas à user de son expérience et de sa position dans l’usine pour lui imposer son autorité.
L’usine porte toute l’économie locale d’une petite ville de montagne. La plupart des habitants y travaillent, et elle pèse aussi dans la vie politique. Se dresser contre elle, c’est se dresser contre toute une communauté et ça Nour le sait pertinemment. C’est en s’alliant avec une autre femme, Emma, qu’elle va faire trembler les cadres dirigeants de l’usine et les élus. Ensemble, elles collectent patiemment preuves et indices, et se battent pour affirmer leurs positions contre l’ordre établi. Si Emma, en bonne journaliste indépendante et engagée, est prête à tout pour faire éclater la vérité, Nour a plus de réticences. Peut-être, d’une part, parce qu’en tant que fille d’immigré, elle a appris à être discrète. En effet, le réalisateur Farid Bentoumi explique le silence de Slimane face aux malversations de la direction par “sa double condition d’ouvrier et de Maghrébin” : il ne veut pas faire de vagues. A l’inverse, Nour vient d’une génération informée sur les risques qui refuse de fermer les yeux. D’autre part, la menace de perdre son emploi et de mettre en danger celui des autres effraie également Nour. Slimane, lui, choisit sans transiger le parti de l’usine pour défendre ses collègues qui comptent sur lui. Son personnage s’implique d’ailleurs en tant que délégué syndical, ainsi que dans la vie politique locale : il assiste à des meetings d’élu, colle des affiches, etc… C’est finalement plus le fossé générationnel qui les sépare que leur volonté commune d’aider les autres.
L’intrigue bascule au centre du film avec un plan magistral : pour convaincre Nour de la rejoindre, Emma l’emmène au cœur de la forêt pour découvrir un lac de montagne complètement gangréné par les boues toxiques rouges. La caméra effectue alors un travelling arrière qui écrase les deux femmes au milieu de cette nature polluée et détruite, qui se meurt à petit feu. Ce plan époustouflant marque aussi bien Nour que le spectateur. Si le film porte bien ses enjeux et son message, il n’en reste pas moins appesanti par sa lenteur. Montrer le cheminement du personnage principal vers la vérité et la difficulté de faire changer les mentalités est une chose. Mais le film passe par des détours trop longs. Si la première partie du film prend le temps de poser le contexte, de filmer l’ennui de Nour, reléguée au fond de son infirmerie, la deuxième partie déçoit. Les vingt dernières minutes rattrapent cependant le spectateur avec l’accélération de l’intrigue qui voit Nour se transformer en héroïne sacrificielle, prête à se mettre physiquement en danger pour les besoins de son enquête.
Ce long-métrage met surtout en lumière une lanceuse d’alerte engagée alors qu’on veut lui faire croire que sa voix ne compte pas. Farid Bentoumi a choisi de réaliser Rouge dans un milieu ouvrier, plus précisément dans l’industrie lourde peu représentée au cinéma français, et de donner la figure de héros à une jeune infirmière issue d’un milieu modeste. En refusant d’être paralysée par le déterminisme social, le courage de Nour est décuplé : non seulement elle se dresse face à un système, mais aussi face à sa famille, dans le seul but de faire bouger l’engrenage mis en place depuis des générations. Encadrée par Sami Bouajila en père taiseux mais tout aussi engagé et Céline Sallette en mentor inspirante, Zita Hanrot prête merveilleusement sa sensibilité et sa détermination au personnage de Nour. Rouge montre à quel point il est difficile de faire entendre sa voix dans une société qui ne veut pas changer. Avec l’actualité récente autour du rapport du GIEC, cette question de la pollution industrielle est en effet plus qu’actuelle.
Réalisé par Farid Bentoumi. Avec Zita Hanrot, Sami Bouajila, Céline Sallette, Olivier Gourmet… France, Belgique. 01h28. Genre : Thriller. Distributeur : Ad Vitam. Sortie en salles le 11 Août 2021.
Crédits Photo : © Les films Velvet/Les films du Fleuve.