Rien à Foutre : Air Blues
Après avoir réalisé à quatre mains le documentaire D’un Château à l’Autre (2018), Emmanuel Marre et Julie Lecoustre se retrouvent pour leur premier long métrage baptisé Rien à Foutre. Porté par une Adèle Exarchopoulos au minois fatigué, ce drame aérien en deux actes nous offre un décollage captivant mais un atterrissage en longueur.
A 26 ans, Cassandre (Adèle Exarchopoulos) est hôtesse de l’air dans la compagnie low cost Wing. Vivant au jour le jour, elle enchaîne les vols et les soirées alcoolisées sans lendemain, en n’oubliant jamais de swiper régulièrement sur Tinder sous le pseudonyme « Carpe Diem ». Une existence superficielle, qui semble combler cette jeune femme en réalité blasée et fragilisée par le décès de sa mère. Tandis que la pression s’accentue au sein de Wing, Cassandre perd pied et se retrouve contre son gré clouée au sol en Belgique, où elle devra affronter ses douleurs enfouies et sa famille qu’elle a abandonnée. Loin du glamour des grandes compagnies aériennes et de l’image fantasmée des hôtesses de l’air, Emmanuel Marre et Julie Lecoustre choisissent de montrer le revers de cette vie dans les airs de façon quasi documentaire. Conditions de vie précaires, faux-semblants, déshumanisation et surveillance excessive sont le quotidien de Cassandre, qui ne croit plus à un avenir heureux. Se mentant à elle-même, elle s’auto persuade – et convainc les autres – que son métier fabuleux lui permet de voyager aux quatre coins du monde et de rencontrer de nombreuses personnes, alors qu’elle mène finalement une existence morne et solitaire.
Abusant des publications sur Instagram et du hashtag faussement réconfortant #officeview, Cassandre a baissé les bras et laissé sa volonté de rejoindre une compagnie plus chic sur le tarmac. En attendant, elle boit des shots de vodka dans les cabines d’équipage et dans des fêtes aux Canaries pour oublier son blues écrasé par le travail. Le tout en arborant toujours un large sourire face à sa hiérarchie et ceux qu’elle croise sur sa route, puisque tout est ici une question d’image. Ce personnage à la vulnérabilité désarmante, et qui a constamment l’air absente, fait plus largement écho à cette génération de pré trentenaires dont les perspectives d’avenir se réduisent à vue d’œil lorsqu’ils n’ont pas encore trouvé leur place et un but à leur vie. Une pression sociale et un désenchantement qu’Adèle Exarchopoulos parvient à incarner avec subtilité. C’est d’ailleurs l’aura tristement moderne du protagoniste et le côté documentaire qui nous transportent dans la première partie de Rien à Foutre. Mais dès lors que Cassandre se retrouve chez son père, le film bascule du côté du drame familial aux séquences de réconciliation attendues, déclinées sur le sempiternel refrain « affronter le passé pour mieux rebondir vers le futur », étiré qui plus est en longueur. On perd de l’altitude et c’est un peu dommage. Rien à Foutre n’en reste pas moins un projet à la mélancolie intéressante et touchante, avec un traitement du milieu des travailleurs du ciel rarement vu d’aussi près au cinéma.
Réalisé par Emmanuel Marre & Julie Lecoustre. Avec Adèle Exarchopoulos, Alexandre Perrier, Mara Taquin… France, Belgique. 01h52. Genre : Comédie dramatique. Distributeur : Condor Distribution. Prix Fondation Gan à la Diffusion à la Semaine Internationale de la Critique 2021. Sortie le 2 Mars 2022.
Crédits Photo : © Condor Distribution.