Ninjababy : Rakel (En neuf mois)
Après son premier long métrage Women In Oversized Men’s Shirts (2015), la réalisatrice norvégienne Yngvild Sve Flikke adapte pour son deuxième projet le roman graphique Fallteknikk d’Inga H. Sætre. En découle une dramédie aussi réjouissante qu’impertinente qui fait voler en éclat les diktats de la maternité.
Oslo, de nos jours. Rakel (Kristine Kujath Thorp) a 23 ans et n’a pas de trajectoire de vie encore bien définie. Elle est désordonnée, immature et se rêve astronaute, goûteuse de bières, globetrotteuse, garde forestière ou illustratrice. Autant d’envies et de projets qui partent en fumée quand elle découvre qu’elle est enceinte de six mois suite à une partie de jambes en l’air avec l’un de ses coups d’un soir surnommé « Jésus-Trique » (Arthur Berning). Ne pouvant plus avorter, Rakel a pour seule solution l’adoption du bébé. Apparaît alors Ninjababy, image animée de son fœtus sortie tout droit de son carnet de dessins, qui communique avec elle et va faire de sa vie un enfer. Refusant d’être mère, la jeune femme va n’avoir de cesse de résister face à cette grossesse non désirée qui menace son avenir et sa liberté. A l’image des héroïnes de Julie (En 12 Chapitres), Playlist ou encore Les Amours d’Anaïs, tous trois sortis en 2021, Ninjababy s’inscrit dans cette nouvelle lignée de longs métrages qui s’attèle à illustrer la diversité féminine en mettant en lumière des personnages de femmes complexes et authentiques. On pense également beaucoup à The Lost Daughter (2021), puisque pour Leda, protagoniste principal du film de Maggie Gyllenhaal, comme Rakel, la féminité ne rime pas avec désir de maternité. Par leurs choix considérés comme marginaux, ces deux protagonistes déconstruisent les stéréotypes et clichés sur la gente féminine et offrent par ailleurs des personnalités et des questionnements auxquels les femmes peuvent véritablement s’identifier.
Provocateur, chaleureux et impertinent, Ninjababy parvient à mêler habilement animation et prises de vue réelles, mais également les genres du drame et de la comédie en évitant toujours de tomber dans la leçon moralisatrice. Par sa mise en scène créative et ses dialogues crus et plein de justesse, la réalisatrice parvient par exemple à nous faire rire du déni de grossesse de Rakel, et ce n’est pas un mince exploit. La bouffée d’air frais que procure le film fait un bien fou, et s’il y a bien une chose qui ressort de Ninjababy, c’est la certitude qu’une femme est maîtresse de sa vie et de son destin, et qu’elle ne devrait jamais être jugée pour ses choix. Qu’il s’agisse de son nombre de relations sans lendemain, du nombre de bières descendues en une soirée, de sa volonté ou non d’être mère, d’avorter ou de garder un bébé, entre moult autres choses pourtant évidentes. La piqûre de rappel semble ceci dit toujours nécessaire dans notre société largement normative. Yngvild Sve Flikke livre également une réflexion profonde sur les inégalités entre les hommes et les femmes, par le biais notamment du discours extrémiste savoureux de Rakel concernant la contraception (qu’on vous laisse le soin de découvrir par vous-mêmes). En épurant ses décors et la lumière, la réalisatrice concentre finalement l’attention du spectateur sur le plus important : le cheminement psychologique de ses personnages tout en explorant subtilement les angoisses pré parentales. Une dramédie touchante, farouche et jouissive qui remet enfin le genre du film sur la maternité, vieillissant et dépassé depuis bien trop longtemps, sur le devant de la scène.
Réalisé par Yngvild Sve Flikke. Avec Kristine Kujath Thorp, Arthur Berning, Nader Khademi… Norvège. 01h43. Genres : Drame, Comédie. Distributeur : Wild Bunch Distribution. Sortie le 21 Septembre 2022.
Crédits Photo : © Motlys.