Mourir Peut Attendre : Craig frites, salade, tomate, oignon
Le 25ème opus de la plus grande saga cinématographique nous est enfin dévoilé après des années d’un développement plein d’hésitations, de divergences créatives, d’errance d’écriture et de pandémie mondiale. C’est aussi le dernier tour de piste pour son interprète principal, le fringant quinqua Daniel Craig, qui après cinq films à jouer l’arme fatale de l’Empire britannique, commence à être trop vieux pour ces conneries. La conclusion se devait donc d’être immense et spectaculaire.
Après des années de conflits internes et externes au sein du MI6, James Bond s’est rangé des voitures. N’ayant visiblement pas été concerné par la réforme des retraites, notre espion coule des jours paisibles, vivant de pêche au gros et d’eau fraîche, dans un modeste bungalow de 120m2 perdu en Jamaïque. Mais voilà que les joyaux de la couronne et la femme qu’il a aimée sont à nouveau en danger. Inévitablement rattrapé par son passé, il va devoir reprendre du service et armer son Walther PPK afin de déjouer les plans du SPECTRE, l’organisation criminelle qui lui mène la vie dure depuis quatre épisodes. Tout est là dans cette recette que l’on connaît maintenant par cœur : le flegme et le smoking de notre héros, les gadgets, les Vodka-Martini qui coulent à flot, l’Aston Martin DB5, l’action pétaradante, les femmes qui manient aussi bien les talons de 9 cm que les calibres 9 mm, les paysages magnifiques sur tous les continents et le méchant défiguré/torturé dans sa base secrète… Et c’est peut-être là que le métrage déçoit. Alors que les deux précédents opus réalisés par Mendes (à qui l’on doit également American Beauty et 1917) interrogent les origines de l’icône Bond ainsi que son rôle dans l’impérialisme, on est ici sur une route finalement bien balisée. Peut-être que le travail de Mendes était trop bien fait pour nous éviter de réfléchir et nous offrait des pistes de réflexion trop évidentes ? Est-ce vraiment une déception que de vouloir rester fidèle à la franchise ? Assurément non. Car rien n’est surprenant, ni décevant. Ce qui aurait pu être une apothéose de la saga n’est en fait qu’un actionner hollywoodien très correct. La réalisation de Cary Joji Fukunaga est claire, précise et même élégante par moment, avec une gestion de l’espace assez impeccable qui ne dépasse ceci dit que rarement le travail d’un très bon artisan. On aurait tout de même pu s’attendre à un point de vue plus développé sur la mythologie bondienne, surtout que l’actualité qui a ébranlé Hollywood en fin d’année 2017 avec l’affaire Weinstein était une occasion rêvée pour cela.
Alors que la production est en pleine phase d’écriture survient l’événement #MeToo, qui ébranle les majors américaines et amorce une prise de conscience sans précédent. Les studios, qui font déjà face aux nouveaux acteurs de la VOD, n’ont aucun intérêt à nier le phénomène et se doivent d’être précautionneux sur la teneur des discours qu’ils véhiculent sans risquer de se couper de leur public déjà volatile. James Bond et son background de mâle alpha sexiste et triomphant est typiquement le genre de franchise qui peut souffrir d’une mauvaise publicité. Il faut alors réagir et trouver la personne idéale qui pourrait insuffler un vent de féminisme, certes opportuniste mais salvateur pour la saga. Phoebe Waller-Bridge, jeune actrice et auteure britannique très remarquée pour son ton piquant depuis que sa pièce de théâtre Fleabag a été adaptée avec succès pour la BBC, est approchée par la production. Alors oui, son arrivée parmis l’équipe de scénaristes amoindrit le côté prédateur sexuel d’un 007 qui pour une fois, fidèle à une seule femme en la personne de Madeleine Swann (Léa Seydoux), n’éprouve pas le besoin de mettre à l’épreuve sa masculinité dans des relations sexuelles perverses ou non consenties aux quatre coins du globe. L’introduction d’un alter ego féminin avec le personnage de Nomi, jouée par une Lashana Lynch aussi puissante que sarcastique, est aussi un de ces ajustements bienvenus. Mais rien ne révolutionne la formule ou ne malmène ni ne déconstruit vraiment James Bond sur ses relations entre lui et les femmes. Les personnages féminins restant tout de même des traitresses ambiguës et/ou s’effaçant face au charme et au professionnalisme indéniable d’un homme qui sait tuer ses ennemis comme personne.
Tous ces éléments convergent vers une recherche de modernité de ton que la licence Bond a toujours poursuivi. On se souvient de grands ratés, comme le nanardesque Meurs un autre jour (Lee Tamahori, 2002) ou plus récemment Quantum of Solace (Mark Forster, 2008) fini à la va-vite durant la grève des scénaristes. Mais il y eut également des réussites indéniables comme le flamboyant Goldfinger (Guy Hamilton, 1964) ou le crépusculaire Skyfall (Sam Mendes, 2012). Avec ce 25ème film, on se situe clairement entre les deux catégories, car si les intentions sont bonnes, l’essai n’est pas tout à fait transformé pour convaincre et c’est d’autant plus dommage pour la fin de l’ère Daniel Craig. Bref, Mourir peut attendre se sera fait attendre tel ce grec/frites au milieu de la nuit que l’on ingurgite pour éponger ses excès. C’est efficace et complet, parfois bon sur le moment, mais ce n’est et ne sera jamais de la haute gastronomie.
Réalisé par Cary Joji Fukunaga. Avec Daniel Craig, Rami Malek, Léa Seydoux… États-Unis, Angleterre. 02h43. Genres : Action, Thriller, Espionnage. Distributeur : Universal Pictures International France. Sortie le 6 Octobre 2021.
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