Mon Crime : How to Not Get Away with Murder
La comédie Mon Crime, écrite à quatre mains par George Berr et Louis Verneuil, fut représentée pour la première fois le 12 mars 1934 sur la scène du théâtre des Variétés à Paris, soit 89 ans avant sa sortie sur grand écran proposée par François Ozon. Après son adaptation de Peter Von Kant, le réalisateur rend de nouveau hommage aux pièces du passé en faisant revivre ces personnages oubliés dans une fresque comique et maîtrisée.
Mû par cette volonté de nous faire voyager dans le temps, Mon Crime nous offre un bond temporel dans le Paris des années 30 : Madeleine Verdier (Nadia Tereszkiewicz), jeune actrice sans le sou, est accusée à tort du meurtre d’un producteur célèbre. Aidée par sa meilleure amie et colocataire Pauline Mauléon (Rebecca Marder), jeune avocate au chômage, elle saisit cette opportunité pour faire sa publicité, et décide de s’accuser. Acquittées pour légitime défense, les deux femmes commencent alors une nouvelle vie, faite de gloire et de succès, jusqu’à ce que la vérité du crime éclate au grand jour. Une intrigue fantaisiste et légère qui rend hommage à un art du spectacle, et donc de la tromperie, fondé sur le pouvoir des mots et leur ambivalence. Que ce soit par le cadre du film qui, s’ouvrant sur un lever de rideau, annonce directement l’artificialité de son histoire, ou encore dans son récit, François Ozon se joue du spectateur comme Madeleine et Pauline se jouent des autres personnages. Tout est ainsi fait pour captiver et étonner le regard, nous plonger dans un espace temps qui rompt avec notre quotidien et faire de cette histoire un conte qui mêle absurde et poudre aux yeux pour mieux brouiller les frontières entre la réalité et le jeu.
Mais, dans la lignée des codes théâtraux de la comédie à double-fond, la farce et le ton ironique (condensé de dialogues grinçants et de non-sens) dissimulent en réalité un propos plus profond. En plus d’offrir un voyage-spectacle très esthétique, le décor parisien des années 30, qui bat au rythme de la fougue, de la modernité et de la rage de réussir des deux personnages principaux, n’a en effet pas été choisi au hasard. Derrière cette ambiance art déco scintillante et ces costumes hollywoodiens tape-à-l’œil, se cache une dimension politique qui dépeint les restrictions imposées aux femmes de cette époque (interdiction de vote, dépendance financière etc.) afin de mettre en lumière des préoccupations toujours contemporaines. L’intrigue se centre en effet sur cette question des rapports de pouvoir au sein de la société française qui, des années 30 à aujourd’hui, reste dominée par les hommes, et laisse la femme mineure pour les droits mais majeure pour les fautes. La théâtralité omniprésente et assumée du film vient donc, au-delà du divertissement, soulever le problème de la mise en scène de la justice et notamment de sa prétendue impartialité. Pour Madeleine Verdier, ce procès est l’occasion parfaite de réciter son monologue sous les regards ébahis et attentifs d’un public dont elle a toujours rêvé. La justice n’étant plus que le fruit d’une comédie écrite de toute pièce, un acte tragique auquel elle accepte de prendre part puisque c’est le seul moyen de retrouver sa légitimité et son honneur en incarnant cette rêverie créée autour de la figure des femmes criminelles et perfides. Cette intrigue burlesque, où le personnage principal accepte de rentrer dans la bêtise des autres pour les manipuler, devient une illustration de la misogynie constitutive de l’institution judiciaire. Forgée par le mythe de la sorcière, qu’elle reproduit toujours implicitement, elle continue de faire peser la balance d’un côté plus que d’un autre, laissant des sujets comme indéfendable en soi.
Ainsi, face à ce jury essentiellement masculin, Madeleine pose cette question qui retentit au-delà de l’écran : Comment pouvons-nous accepter de laisser notre défense dans les mêmes mains que celles qui nous attaquent ? Entre les plumes et manteaux de fourrure, un crossover des acteurs fétiches d’Ozon (Isabelle Huppert, André Dussollier, Félix Lefebvre, Fabrice Luchini…) et un suspens jubilatoire, Mon Crime réussit son pari de nous transporter dans une autre dimension tout en proposant un portrait fort de deux femmes unies, pour changer, non pas par la jalousie ou la rivalité, mais par une aspiration partagée à l’indépendance.
Réalisé par François Ozon. Avec Nadia Tereszkiewicz, Rebecca Marder, Isabelle Huppert… France. 01h42. Genres : Comédie dramatique, Policier, Judiciaire. Distributeur : Gaumont Distribution. Sortie le 8 Mars 2023.
Crédits Photo : © Carole Bethuel/2023/Mandarin et Compagnie/Foz/Gaumont/Scope Pictures/France 2 Cinéma/Playtime Production.