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Les Reines du Drames : But i’m a popstar

« Sans les Spice Girls j’aurais jamais lu Monique Wittig ». Cette punchline résume parfaitement l’essence de ces Reines du drames, premier long métrage d’Alexis Langlois, après sept courts métrages remarqués en festival. Trop peu distribué, mais aidé d’un casting ultra investi dans la promotion de sa sortie, Les Reines du drame est une romance pop et queer, au casting éclectique et à la bande son addictive.

Vous vous souvenez ? Les débuts de la Star Ac’ et de ses stars fabriquées sur mesure, destinées à décorer les chambres des adolescent.e.s et à agacer leurs parents à force de tourner dans le lecteur CD familial ? Les posters sélectionnés avec soin dans des magazines people outranciers, qui nous promettaient de tout savoir sur nos idoles, de leur plat préféré à leur pire défaut ? Si vous avez dû faire le choix cruel entre afficher Jennifer ou Alizée dans votre chambre, si vous avez répété des après-midi entières les chorégraphies de Priscilla et Britney, ou si vous avez rêvé de trouver sous le sapin des places pour le concert de Lorie, alors Les Reines du drame saura trouver le chemin de votre cœur d’enfant des années 2000.

À travers le récit de Steevyshady (Bilal Hassani), youtubeur excentrique, nous plongeons dans le récit de l’histoire d’amour intense et chaotique de deux chanteuses que tout semble vouloir séparer : Mimi Madamour, chanteuse pop avalée par le star-system, et Billie Kohler, icône punk underground.

Les corps, les visages et leurs transformations sont au cœur du récit et de l’esthétique du film. Butch musclées, bikeuse ultra sexy, lolitas façonnées par l’industrie et stars vieillissantes à l’aspect presque surnaturel se côtoient et se répondent ici. Le visage déformé par la chirurgie de Steevyshady contre celui toujours juvénile, malgré les ans, de Mimi Madamour, enfermée dans son image de jeune ingénue. Mais aussi le corps androgyne et toujours plus musclé de Billie Kohler, qui défonce les normes de genre à grand renfort de perruques et de testostérone.

La prothèse, la chirurgie, la musculation à l’extrême, dont usent et abusent les personnages, les transforment, les subliment ou les invitent du côté de la monstruosité. Des transformations et mises en scène de soi, pour se conformer à des normes absurdes, pour se protéger du regard des autres ou pour effrayer la société. Ce sont les incarnations visuelles d’une société de l’image, observées ici avec un mélange de curiosité, d’humour et de bienveillance par Langlois.

Les Reines du Drame © Les Films du Poisson

Comme John Waters a ses Dreamlanders, Alexis Langlois a elle aussi un noyau dur d’acteur.ice.s habitué.e.s. Ici, Nana Benamer,  Dustin Muchuvitz, Raya Martigny campent des seconds rôles plus barrés les uns que les autres. Elle s’entoure également de nouvelles têtes, connues pour certaines (Asia Argento, Alma Jodorowsky) ou plus underground, conviant notamment Mona Soyoc, chanteuse du groupe de cold wave KaS Product, à incarner une chanteuse déchue et marginalisée à l’extrême.

Un autre visage du film est celui de Bilal Hassani, incroyable en Steevyshady, le youtubeur botoxé et fanatique, à la fois narrateur et protagoniste. Pour son premier rôle au cinéma, le chanteur pousse les curseurs de l’autodérision à leur paroxysme et embrasse le ridicule et le jusqu’au-boutisme de son personnage avec un plaisir évident.

Sans compter sur les deux stars du film, Gio Ventura et Louiza Aura. Cette dernière a d’ailleurs convaincu l’Académie des Césars et fait partie de la sélection des révélations féminines 2025, pour son incarnation sensible et riche de Mimi Madamour, passant de jeune fille timide et rêveuse, à sensation internationale. L’alchimie avec son partenaire crève l’écran, aussi bien dans les scènes intimistes que lors de leurs éclats les plus outranciers. Gio Ventura livre une performance à la fois touchante, sexy et drôle, en chanteuse punk écorchée, aimant trop fort sa Mimi et se voulant gardienne de la pureté artistique, jusqu’à la folie.

Les Reines du Drame © Les Films du Poisson

Car on souffre autant qu’on célèbre et on aime aussi fort qu’on haït dans ce film qui déborde en permanence. Les personnages embrassent de manière totale et outrée leurs émotions, aussi bien en live devant des millions de fans, que dans l’intimité d’un squat, avec une sincérité déconcertante. Ces drama queens nous livrent une histoire d’amour intense et sans retenue, dans laquelle on offre son cœur (et des faux ongles) à l’être aimé, où l’on chante en pleurant sous la pluie lorsqu’on a mal et où l’on déclame son amour à coup d’ode au fist. 

Langlois ne craint pas l’excès dans ce joyeux mélange des genres que convoque son film, tour à tour mélo dégoulinant autant que le mascara de ses héroïnes, comédie camp (à l’image des iconiques Hairspray ou But I’m a Cheerleader) ou pastiche des médias. La réalisatrice et sa directrice de la photographie, Marine Atlan, mélangent les techniques de prise de vue et les formats pour transporter le public sur les plateaux télé des années 2000, comme sur l’internet fantasmé du futur.

Également généreux en terme de références cinématographiques, allant puiser dans le cinéma queer de Rainer Werner Fassbinder, Jean Genet ou encore Gregg Araki, et évidemment dans la pop culture (coucou Britney et Cara Cunningham), le film titille à la fois la cinéphilie et la nostalgie de ses spectateur.ice.s.

Les Reines du Drame © Les Films du Poisson

Moins trash que certains de ses courts métrages, Les Reines du drame n’en est pas moins politique. Déjà par son casting, presque exclusivement queer et dans sa représentation d’une relation lesbienne qui ne débouche pas sur un drame. Pour les adolescentes lesbiennes et queer qui ont manqué de représentation cinématographique et ont souffert de la politique du « bury your gay » (cette facheuse tendance, héritée du Code Hays, qui consiste à tuer ou à punir les personnages queers à la fin des films) ayant longtemps sévit sur les écrans, Les Reines du drame agit comme un remède joyeux et salutaire.

Décortiquant le star system – pendant de l’hétéropatriarcat – et ses dégâts, à travers l’ascension et la chute de Mimi Madamour, portée aux nues par une industrie qui l’enferme autant qu’elle la sert, le film questionne notre rapport à la célébrité et la fascination qu’elle suscite en nous. Il nous pose la question : en tant que fans, à quel point servons-nous ce système destructeur ? Sommes-nous toustes un peu des Steevyshady, projetant nos désirs et un amour envahissant sur les stars ? Ces idoles inaccessibles, qui tapissent pourtant les murs de nos appartements, les couloirs du métro et les pages des magazines, et dont on souhaite connaître la vie privée dans les moindres détails, les suivant au bout du monde jusqu’à la chute inévitable qui les laissera seules et oubliées de toustes ?

Un des coups de génie de cette comédie musicale camp à souhait est d’avoir fait appel à Yelle et Rebeka Warrior (qui s’impose depuis quelques temps comme l’une des compositrices les plus prolifiques du cinéma et de l’audiovisuel français) pour composer les chansons originales de Mimi Madamour et Billie Kohler. Ce choix donne immédiatement une identité très marquée à chacune des chanteuses, de la pop très calibrée de la première au punk électro plus foutraque de la seconde.

La réussite de l’écriture et des compositions se confirme à la sortie de la salle, lorsqu’on se surprend à chantonner l’un des tubes entendu lors de la projection, nous laissant rêver à des concerts de Mimi et Billie, pour, à notre tour, être des fans dévoué.e.s. Déclaration d’amour aux ringard.e.s, aux has been, aux stars oublié.e.s de nos adolescences (et aux lesbiennes drama queens) Les Reines du drame s’illustre comme l’un des films les plus enthousiasmants de cette année 2024.

Bravo les reines, bravo les lesbiennes, et bravo Alexis Langlois.

Réalisé et écrit par Alexis Langlois . Avec Gio Ventura, Louiza Aura, Bilal Hassani, Nana Benamer,  Dustin Muchuvitz, Raya Martigny… France. 1h55. Genre : Comédie Musicale, Drame. Distributeur : Les Films du Poisson. Sortie le 27 novembre 2024.

Les Reines du Drame © Les Films du Poisson

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