Les Huit Montagnes : Ascension douce
Après My Beautiful Boy (2018), Felix Van Groeningen revient dans les salles obscures avec une nouvelle adaptation cinématographique en haute altitude, accompagné cette fois-ci à la réalisation par sa compagne à la ville comme sur les plateaux, Charlotte Vandermeersch. Cette bromance alpine mise en lumière par le duo belge, et auréolée du Prix du Jury au dernier Festival de Cannes, vaut-elle le détour ? Verdict ci-dessous.
Pietro (Luca Marinelli), petit citadin originaire de Turin, passe les vacances d’été dans un village oublié du Val d’Aoste avec ses parents. Là-haut sur la montagne, il rencontre Bruno (Alessandro Borghi), dernier bambin à vivre dans ce coin caché des Alpes, et se lie d’amitié avec lui dans ce paysage verdoyant et rocailleux infini qui devient rapidement leur royaume. Au gré des aléas de la vie, les deux copains s’éloignent sans jamais véritablement se séparer. Tandis que le casanier Bruno reste perché sur sa montagne, Pietro parcourt le monde afin d’y trouver sa place et son identité. C’est lors du décès de Giovanni (Filippo Timi), le père de Pietro, resté tout ce temps en contact avec Bruno tandis que son fils a depuis un moment coupé les ponts, que les deux compères se retrouvent afin d’achever le rêve du paternel disparu (de sang pour l’un, de substitution pour l’autre) : retaper une maison en ruines isolée en haut des cimes. Dès la séquence d’ouverture, on s’étonne que le format 1.33 ait été choisi pour Les Huit Montagnes, reléguant irrémédiablement la grandeur des espaces en toile de fond. Les paysages se retrouvent alors « contenus » dans un carré que l’on sent bien trop étroit pour eux. On entrevoit ensuite qu’il s’agit sans doute d’un clin d’œil amer à la vision réduite que l’humain a de la nature. Ce choix évoque en effet notre tendance à voir le monde avant tout par notre petite fenêtre, mais aussi l’impossibilité pour une simple caméra de vraiment capter toute l’immensité et la puissance terrestres, que ce soit à l’œil nu ou via une optique de cinéma. La frustration de ce format carré est en fin de compte la même ressentie lorsque l’on regarde l’horizon sans en voir davantage. Le procédé permet surtout de centrer le récit sur ses protagonistes, en offrant de temps à autre des moments d’ouverture sur le monde extérieur par le biais de plans plus larges, dégagés sur les flancs des montagnes. Un souffle, une respiration dans cette histoire en haute altitude qui reprend tous les grands thèmes du réalisateur belge : la relation père/enfant(s), la difficulté à trouver sa place dans le monde, la lutte contre l’adversité et le chemin compliqué vers la maturité, portés par des personnages aux pourtours tragiques que le cinéaste voue à la fatalité.
Entre le souvenir d’une randonnée douloureuse qui ne laisse que mélancolie et regrets dans le cœur de Pietro, ou des rires autour d’un feu à coups de breuvage alcoolisé, Les Huit Montagnes déroule dans son cadre resserré une épopée amicale romanesque ponctuée d’une crise existentielle, avec des réponses à peut-être trouver dans les âpres sommets. Éblouis par les décors naturels et l’alchimie touchante entre les deux acteurs principaux, on ne peut ceci dit pas s’empêcher de se demander si cette bromance des montagnes n’aurait pas pu être bien plus époustouflante en étant moins lisse dans ces images et sa narration. Car si la randonnée est agréable, elle n’en reste pas moins sans surprise. Certains, comme moi, se laisseront donc porter par la douceur et la sensibilité de cette amitié et la magnificence des paysages capturés avec maîtrise par Ruben Impens, tandis que d’autres, moins à même d’apprécier ce film naturaliste et contemplatif à l’excès, resteront sur le bord de la crête.
Réalisé par Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch. Avec Luca Marinelli, Alessandro Borghi, Francesco Palombelli… Italie, Belgique, France. 02h27. Genre : Drame. Distributeur : Pyramide Distribution. Prix du Jury au Festival de Cannes 2022. Sortie le 21 Décembre 2022.
Crédits Photo : © Pyramide Distribution.