Les Bonnes Étoiles : Quelle (In)dignité
Quatre ans après avoir obtenu la prestigieuse Palme d’Or à Cannes avec Une Affaire de Famille, le réalisateur japonais Hirokazu Kore-eda continue d’explorer avec tendresse et humilité les familles recomposées à la morale discutable. En Corée du sud, pas si loin de sa terre natale, le cinéaste est lumineux, mais trop transparent. A l’occasion de la sortie en DVD/VOD, on s’est penché sur le dernier Kore-eda.
C’est au pied d’une église à Busan, où un nouveau-né est abandonné à côté d’une « boîte à bébé », que tout commence. Sang-hyeon et Dong-soo, deux courtiers sur les rotules, effacent toutes les traces du dépôt de l’enfant et le kidnappent pour le vendre au couple le plus offrant contournant ainsi des moyens d’adoption légaux. Prise d’hésitation, tout en étant attirée par la rondelette somme qu’elle pourrait tirer de la vente de sa progéniture, la jeune mère, So-young, s’incruste dans le voyage des trafiquants.
Si vous n’avez jamais eu affaire à Kore-eda et que ce petit résumé vous fout le bourdon, rassurez-vous ! Comme à son habitude chez le cinéaste, les personnages marginaux sont traités avec douceur sans jamais transiger sur leurs côtés sombres. On explique sans excuser. Et ça se ressent dans les motivations des personnages à marchander un môme. So-young, la mère, ne peut assumer la responsabilité de s’occuper de son enfant sans argent, quant au kidnappeur Sang-hyeon, il est endetté et poursuivi par des malfrats. De son côté Dong-soo, le mystérieux accompagnateur de Sang-hyeon, confesse à So-young que, nourrit par sa propre expérience d’orphelin, la vente n’est pas tant une question d’argent mais plutôt une façon de redonner une famille à un enfant qui devra sinon faire face à des institutions surchargées et démunies. Tous reçoivent une brise, un vent de dignité, qui rééquilibre en partie leurs mauvaises actions. Ils échappent à tout jugement, ou presque.
La force du film réside dans des moments d’intimité qu’on partage avec les personnages dans les deux brefs échanges entre Su-jin, une flic de la protection de la petite enfance, et son mari, ou encore dans une partie de foot entre Dong-Soo et des orphelins. Force est de constater qu’une fois immergés dans l’histoire, tout ce qui relève du trafic d’êtres humains – parce que oui, c’est quand même ça le sujet – devient banal. Ce qui relève de l’exceptionnel, ce sont les petites attentions, les punchlines et les embûches rencontrées en chemin. On capte des rayons de soleil ici et là, la mer qui s’écrase sur la plage, une voiture qui traverse le paysage au loin. Kore-eda accomplit la lourde tâche de décrire simplement un monde complexe. Mais parfois, c’est presque trop simple.
Contrairement à Une Affaire de Famille où l’éthique d’une famille de pickpockets était soumise au jugement sévère et moral de la police, comme pour remémorer au spectateur la gravité des petits délits commis tout le long, Les Bonnes étoiles est plus didactique. L’intrigue des deux inspectrices en filature, suivant avec une maigre distance de sécurité l’escapade de nos compagnons, s’entrecoupe de réflexions sur l’enlèvement, l’adoption et l’avortement. Les flics Su-jin et Lee invectivent depuis leur voiture le comportement irresponsable des contrebandiers. Et si la froide Su-jin semble insensible au départ, elle s’attendrit en observant les maladresses et l’humanité de cette bande visiblement paumée. Elle devient le compas émotionnel de l’intrigue mais ne fait finalement que verbaliser ce que les spectateurs auraient fini par déduire eux-mêmes. Ces passages, parfois désagréables, permettent tout de même de souligner la sincérité des kidnappeurs. Et surtout, Su-Jin permet une connexion entre les protagonistes et les familles marginales, dysfonctionnelles, et au moins aussi indignes, qui fourmillent dans le cinéma de Paul Thomas Anderson, cité explicitement par la policière au cours d’un plan séquence sur fond de Save Me de Aimee Mann.
Si la connexion nous avait un peu échappée, il est désormais difficile de détourner les yeux du miroir – un peu déformant – qui sépare les deux cinéastes. Les deux réalisateurs partagent en effet la même passion pour les destins extraordinaires des familles marginales. Dans Magnolia de PTA, Linda Partridge (interprétée par une Julianne Moore subtile mais puissante) n’est pas seulement une femme mariée confortablement à un vieillard riche subclaquant. Elle est aussi pétrie de remords, envers sa propre vénalité, et en colère envers ceux qui la juge depuis une position confortable. So-young est empêtré dans une situation similaire et se réfugie dans le soutien qu’elle trouve dans une famille recomposée. On pense même un peu à Rollergirl et Eddy de Boogie Nights, qui se greffent dans une société de production pornographique où les différents acteurs et techniciens se soutiennent dans l’adversité. Les deux cinéastes ne partagent cependant pas tout à fait les mêmes conclusions : les orphelins de PTA sont marginaux certes, mais c’est par les sirènes lucratives du capitalisme qu’ils sont bercés, alors que ceux de Kore-Eda s’en éloignent. Le réalisateur japonais préfère les pickpockets, les sans-le-sou vivants au jour le jour, avec des proches prêts à accepter leurs défauts…
D’ailleurs ici, le trajet est doux et agréable, une balade à travers une Corée du Sud toute en nuances, accompagnée par cette mauvaise troupe au grand cœur. On aurait peut-être aimé plus de réflexion autour de l’avortement (évoqué une seule fois du point de vue de l’inpectrice Su-jin), mais le film est mené d’une main de maître par un casting sublime, qu’il soit expérimenté comme Bae Doona (Su-jin) ou Song Kang-Ho (Sang-hyeon), ou en début de carrière au cinéma comme la chanteuse Ji-eun Lee (So-young). On se laisse finalement transporter tout du long, par cette balade légère et impertinente. Le temps file quand on se pose devant Les Bonnes étoiles.
Réalisé par Hirokazu Kore-eda. Avec Song Kang-Ho, Dong-won Gang, Bae Doona… Corée du Sud. 02h09. Genre : Drame. Distributeur : Metropolitan FilmExport. Prix d’Interprétation Masculine au Festival de Cannes 2022. Sortie le 7 Décembre 2022.
Crédits Photo : © Metropolitan FilmExport.