Le Temps d’Aimer : Un beau film, ou fresque
Après Suzanne, Réparer les Vivants et la série Le Monde de Demain, la cinéaste Katell Quillévéré livre une histoire romanesque pleine d’amour, de mensonges et de désir. Un joli film sur le couple qui n’en reste pas moins trop dans les clous.
Le film a de quoi surprendre par sa séquence d’ouverture dénuée d’amour. Un flot d’images d’archives en noir et blanc, toutes plus intenses les unes que les autres, montrent les atrocités commises aux femmes ayant eu un rapport avec un officier allemand durant la Seconde Guerre Mondiale. Parmi elles, on croit reconnaître Madeleine (Anaïs Demoustier), dont le ventre semble arrondi, se cachant du sort qui l’attend. Après avoir fui son village, on la retrouve quelques années plus tard sur une plage bretonne où elle rencontre François (Vincent Lacoste). Les regards qu’ils échangent laissent immédiatement présager une longue et belle histoire d’amour sur les deux heures de film restantes. Seulement, s’aiment-ils autant qu’ils ne le laissent paraître ? Une fresque hermétique débute alors entre ces deux amants mystérieux, emplis de secrets.
Le Temps d’Aimer n’est pas une comédie romantique mais une épopée romanesque. La cinéaste, qui signe ici son quatrième long-métrage, fait traverser les villes et les époques à ses personnages comme on parcourt les chapitres d’un livre. Et dans cette vie parsemée d’embûches, le désir est maître mot et le motif principal du film. Comment naît-il ? Comment le faire durer ? Katell Quillévéré parvient à nous le faire magistralement ressentir grâce à sa caméra aux mouvements sensibles et notamment a une somptueuse scène (la plus réussie du film) de sexe à trois mélangeant désir inavoué et malaise insistant. Ce désir naissant existe d’autant plus grâce à l’incarnation de ses comédiens principaux. Chacun endosse son rôle avec une justesse malicieuse et nous fait vivre, notamment dans les jeux de regards, toute la complexité de leurs situations. Si leur vie est emplie de doutes, elle n’en est à aucun moment sans sentiment et cette vision moderne et novatrice du couple dans un film qui prenait au départ le chemin d’un modèle hétéronormé est un vrai tour de force. Le tout est aidé par la beauté froide de la lumière de Tom Harari (chef-opérateur d’Onoda, 10 000 nuits dans la jungle) et la somptueuse bande-originale orchestrée par Amine Bouhafa (Gagarine, Le Sommet des Dieux), ajoutant du classicisme dans un film contemporain.
Pourtant, malgré quelques jolies idées de réalisation (notamment les ellipses au travers de l’enfant qui grandit), le film devient peu à peu trop prévisible et ne nous emporte pas comme on l’aurait espéré. Le travail de nuances autour du personnage de Madeleine (incarne-t-elle le bien dans cette histoire ? Aime-t-elle réellement François ?), qui reste froid et antipathique par moment, est si délicatement confus qu’on ne sait plus si on doit se réjouir de ses malheurs, ou se lamenter de ses bonheurs. Les dialogues très romanesques, malgré leur beauté, ne permettent pas de camoufler des enjeux scénaristiques démesurés : en témoigne l’événement qui conditionne leur premier déménagement. L’émotion manque devant cet amour impérissable, celle-là même qui était absolument déchirante dans la précédente réalisation de la cinéaste, Le Monde de Demain sur Arte. Reste un film délicat, renforcé par la prestation de ses acteurs, qui se délite jusqu’à être, comme un premier amour, un joli souvenir que l’on a besoin d’oublier pour apprécier la suite.
Réalisé par Katell Quillévéré. Avec Anaïs Demoustier, Vincent Lacoste, Paul Beaurepaire… France, Belgique. 02h05. Genres : Drame, Romance. Distributeur : Gaumont Distribution. Valois du Meilleur Acteur au Festival du Film Francophone d’Angoulême 2023. Sortie le 29 Novembre 2023.
Crédits Photo : © Roger Arpajou.