Emily : L’Étoile sauvage
Pour son premier saut derrière la caméra, l’actrice australienne Frances O’Connor livre une chronique aussi fictive que poétique sur la courte vie d’Emily Brontë, poétesse et romancière britannique à l’origine de l’inoubliable Les Hauts de Hurlevent.
Si Les Hauts de Hurlevent a maintes fois inspiré les cinéastes, de Luis Buñuel à Jacques Rivette en passant par Andrea Arnold, le destin de la famille Brontë, et notamment celui d’Emily, est plus rarement représenté. En effet, le dernier film en date relatant leurs aléas sur grand écran est sorti en 1979, sous la direction d’André Téchiné, et s’appelle sobrement Les Sœurs Brontë. Dans une veine plus réaliste qu’Emily, le film a depuis un peu pris la poussière, il faut bien l’admettre. On est donc heureux de voir à nouveau les péripéties de cette fratrie artistique passionnante et mystérieuse en salles. Dans cette chronique largement fictionnée par O’Connor, le récit s’attache à la courte existence d’Emily Brontë (campée par la lumineuse Emma Mackey), qui laissera derrière elle une flopée de poèmes mais surtout son unique roman devenu mythique, Les Hauts de Hurlevent. Aussi énigmatique que provocatrice, la romancière britannique reste aujourd’hui encore l’une des autrices les plus célèbres du monde. Emily imagine donc le parcours initiatique de cette jeune femme rebelle et marginale, relate les prémices et l’écriture de son chef d’œuvre jusqu’à son décès prématuré, Emily ayant été emportée par la tuberculose à l’âge de trente ans.
Grande admiratrice du roman, je me suis ruée sur le film sans me poser de questions et ce, malgré une appréhension minime quant au côté fictionnel du projet en plein décor venteux du Yorkshire. Et si ces écarts de réalisme dans l’exercice du biopic en rebutent certains, force est d’avouer que Frances O’Connor parvient à dresser un portrait moderne et captivant de la romancière. Tiraillée entre sa prometteuse grande sœur Charlotte (à qui l’on doit Jane Eyre), dont elle ne parvient pas à atteindre la rigueur universitaire, et la volonté de plaire coûte que coûte à son paternel, la jeune femme préfère vagabonder dans les landes loin de tous, inventer des histoires sombres et questionner la place qu’on souhaite lui imposer en société. Le traitement du personnage, farouche et solitaire, fait profondément écho en moi à l’image que j’ai de la cadette Brontë depuis ma première lecture de Les Hauts de Hurlevent.
C’est d’ailleurs dans toute cette fiction ajoutée à la narration et au personnage, mais aussi à la distillation de l’univers si sensoriel de l’écrivaine par le biais de la mise en scène, qu’Emily fascine le plus. Pour autant, Frances O’Connor ne s’obstine pas à créer des ponts entre Emily Brontë, son entourage et les protagonistes de Les Hauts de Hurlevent, ce qui est exaltant et malin, même si l’on sent parfois une once d’hésitation de la part de la cinéaste concernant le personnage de William Weightman (Oliver Jackson-Cohen), le vicaire dont s’éprend Emily, qui nous rappelle par moment Heathcliff, l’antihéros torturé et romantique de Les Hauts de Hurlevent, notamment dans la dernière partie du film. L’importance accordé à l’ambiance sonore, notamment dans des séquences nocturnes à la lueur d’une bougie où Emily ouvre sa fenêtre pour entendre la nature s’émouvoir dans l’ombre et prendre un souffle d’inspiration, nous transporte dans l’imaginaire et la créativité débordantes de l’écrivaine pour mieux en capter l’univers et sa retranscription toute personnelle de l’atmosphère sauvage de sa contrée natale. Et si le récit reste somme toute classique dans sa forme, Emily n’en est pas moins un vibrant hommage poétique et tragique à Emily Brontë, étoile littéraire sauvage du Yorkshire dont les écrits hantent toujours autant.
Réalisé par Frances O’Connor. Avec Emma Mackey, Alexandra Dowling, Fionn Whitehead… Grande-Bretagne. 02h10. Genres : Biopic, Historique. Distributeur : Wild Bunch Distribution. Sortie le 15 Mars 2023.
Crédits Photo : © Wild Bunch Germany, 2022.