Dune : L’imposant héritage
Après maintes essais avortés au cinéma, le roman de science-fiction Dune de Frank Herbert était réputé inadaptable. Conte hallucinant, désert de sable à perte de vue et ver géant au menu. Villeneuve est-il à la hauteur de ce monument de la SF (dont même David Lynch n’a pas réussi à se dépêtrer) ? L’expérience sensorielle est en tous cas hors du commun.
Paul (Timothée Chalamet), unique descendant de la lignée des Atréides, vient d’être catapulté sur la planète de l’Épice et de Sable répondant au nom d’Arrakis. Il porte sur ses frêles épaules tout le poids de son héritage familial dans cette fresque politique et épique de deux heures trente-six. Dans une interview donnée à Radio Canada, Denis Villeneuve confesse son admiration de longue date pour l’œuvre originale de Frank Herbert, due à son propos écologique, ses conflits stratégiques et la question plus intime du poids de la transmission. Trois questions fondamentales dans le cinéma du réalisateur canadien qui semblent toujours empreint d’un certain déterminisme, condamnant la plupart de ses personnages à un tragique destin. Comme dans Premier Contact, Paul semble voué à suivre un ordre prédestiné par des visions qui le projettent dans Dune en empereur galactique. Construit sur des allers-retours oniriques, on danse volontiers avec les différentes temporalités du film à la façon des résistants autochtones nommés Fremen. On chaloupe sur le sable aux côtés de la silhouette élancée du jeune Paul et de sa mère Dame Jessica (Rebecca Ferguson) pour ne pas terminer en encas pour Ver Géant. Reposant sur une absence d’agriculture comestible et le survivalisme extrême à l’aide d’une combinaison recyclant la transpiration en eau, le film questionne notre rapport aux ressources naturelles et nos chances de survie face aux dérèglements climatiques. De quoi rassurer les éco anxieux?
Autant être direct : Dune est effectivement la claque « monumentale » qu’elle clame être sur les affiches promotionnelles du film. Peut-être trop. On ne boude certes pas son plaisir à voir d’immenses vaisseaux bourdonnants, des palais de pierres vertigineux et des batailles épiques, le tout sur un fond écolo. On se laisse aussi balader dans le Métropolis sablé avec la figure fière et paternaliste du Duc Atréides (Oscar Isaac), du lieutenant Halleck (Josh Brolin) et celle amicalement viriliste de Duncan Idaho (Jason Momoa). Pourtant, l’expérience pâtit d’une certaine absence d’humanité, les personnages étant systématiquement écrasés sous des structures futuristes et perdus dans le désert à perte de vue qui jalonne Arrakis.
Chez France Culture Denis Villeneuve avait dévoilé son intention de remettre « l’être humain à son échelle » et de fait, on voit la petitesse de l’homme au pied de chaque bâtiment. Mais notre empathie s’efface au profit d’un syndrome de Stendhal constant : les protagonistes sont minuscules au pied du palais d’Arrakis, comme dans le désert lisse aux arêtes abruptes. Les vaisseaux se ressemblent et les bâtiments sont tous immenses. Finalement, à force de prendre de la hauteur, tout se vaut, les actions des protagonistes et des antagonistes se confondent. La quête initiatique de Paul finit par avoir autant de sens que la colonisation impériale. Un semblant d’humanité se retrouve tardivement au pied d’une petite forteresse improvisée où Paul retrouve les Fremen par hasard. Quelques minutes de films dans lesquelles on retrouve des visages à des échelles rassurantes, des champs-contre-champs, des corps à tailles humaines. Pendant un bref instant, on oublie comme le monde est grand. En parachevant une vision spectaculaire, le goût prononcé de Denis Villeneuve pour les architectures minérales, brutales et gigantesques (déjà bien entamé avec le vaisseau de Premier Contact et les bâtiments abandonnés de Blade Runner 2049), entre en conflit avec ses aspirations de fictions politiques et humanistes.
L’ombre de Jodorowsky’s Dune, documentaire sur l’adaptation manquée du cinéaste poète Alejandro Jodorowsky, dont les concepts artistiques flamboyants et multicolores ont inspiré les plus grandes œuvres de science-fiction des années 1970-80, empêche parfois une totale immersion. Ici les couleurs sont ternes, sableuses, dans une volonté artistique réaliste. Pas de fantaisie colorimétrique ou de bâtiments ou décors fantaisistes. On est dans du terre-à-terre, enfin plutôt du sable-à-sable. Denis Villeneuve réalise sous le poids de l’écrasant héritage de Dune. Une adaptation difficile certes, parfois étouffante, mais qui demeure une expérience sensorielle unique. Tous nos sens sont mis à l’épreuve. Le sable caresse notre peau autant qu’on sent l’odeur visqueuse des Harkonens. Il sera difficile d’oublier la composition harmonieuse et grondante de Hans Zimmer, faisant vibrer chaque parcelle de notre corps avec des sons profonds et terrifiants. Et malgré quelques séquences un peu sombres, notamment celles autour de la secte occulte Bene Gesserit, la photographie de Greig Fraser texture les décors et les rend palpables. Si on regrette parfois que le double soleil qui éclaire Dune s’intéresse plus à des natures mortes qu’aux (sur)vivants, Dune est probablement l’œuvre la plus complète et synthétique de Denis Villeneuve. Son esthétique réaliste, pleine de poussière et d’architectures modernes épurées, nourrit l’ambiguïté émotionnelle que l’on ressent face à ses tragédies au milieu d’espaces géopolitiques complexes. D’Incendies à Blade Runner 2049, jamais son cinéma n’a autant délaissé la narration, les personnages et les intrigues, pour se concentrer sur son esthétique. Expérimental, abstrait mais immersif, on espère ceci dit que la seconde partie sera plus généreuse en rapports humains.
Réalisé par Denis Villeneuve. Avec Timothée Chalamet, Rebecca Ferguson, Oscar Isaac, Jason Momoa… Etats-Unis. 02h36. Genres : Science-fiction, drame. Distributeur : Warner Bros France. Sortie le 15 Septembre 2021.
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