Athena : Écran de Fumée
Après le décomplexé Le Monde est à Toi (2018), nous étions en droit d’espérer que le troisième opus de Romain Gavras soit au moins aussi réussi que ce polar burlesque passé par la Quinzaine des Réalisateurs. À notre grand dam, le réalisateur « fils de » branché et sa tragédie urbaine Athena nous ont laissé scénaristiquement dans le caniveau.
Revenu du front suite à la mort de son petit frère, décédé des suites d’une supposée intervention de police, Abdel (Dali Benssalah) tente tant bien que mal de calmer les tensions entre son jeune frère Karim (Sami Slimane), qui carbure à la haine, et son grand frère Moktar (Ouassini Embarek), dealer dont le business s’effrite. Minute après minute, la cité d’Athena se mue en un véritable château fort, témoin d’une tragédie familiale et collective en partance pour le chaos. Athena s’ouvre sur un impressionnant plan-séquence de onze minutes durant lequel Romain Gavras expose toute sa virtuosité en matière de mise en scène. Avec ses cadres parfaitement composés et l’esthétique stylisée qu’on lui connaît, le clippeur fou jubile, et nous aussi, devant les images palpitantes de l’attaque d’un commissariat suivie d’un vol de coffre-fort par les jeunes du quartier. La précision de la chorégraphie millimétrée de chacun des comédiens et figurants qui passe devant la caméra de Gavras nous laisse également ébahis. Après une mise en bouche aussi riche et agitée, on se surprend pourtant déjà à se demander si le reste du film va être à la hauteur de son premier acte spectaculaire. En effet, si les grandes qualités de Gavras en matière de mise en scène ne nous sont pas inconnues, force et d’avouer qu’elles prennent ici une dimension bien plus puissante, transformant la cité qu’il capture en un champ de bataille aux pourtours mythologiques, appuyé par une bande originale enveloppante aux sonorités guerrières. S’appuyant sur le mouvement perpétuel de son viseur et sur une temporalité floutée par de vrais et faux plans-séquences, Athena est une expérience sensorielle dans laquelle on ressent un sentiment d’asphyxie croissant, à l’instar des différents protagonistes régulièrement gazés par les Forces de l’Ordre.
Pourtant, plus le film avance, plus notre engouement s’éteint, laissant rapidement place à la gêne. La maîtrise visuelle du réalisateur devient progressivement malaisante, du fait de son esthétisation continuelle de la violence et de la guerre qu’il cherche coûte que coûte à embellir, par le biais notamment de compositions léchées et de fumigènes colorés. On sent également que Romain Gavras ne souhaite froisser personne, et surtout pas les policiers, et son propos devient dès lors tiède et creux. Laissant la part (bien trop) belle à sa photographie, le réalisateur en oublie son récit et surtout ses personnages, qui n’agissent et n’interagissent entre eux que par l’affect primal et tiennent donc difficilement la distance. D’autant plus regrettable lorsque la distribution du film se révèle aussi talentueuse au milieu de ce chaos scénaristique. L’aura de Dali Benssalah, l’intensité de Sami Slimane et la détresse d’Anthony Bajon sont en effet des plus convaincantes dans le difficile exercice du plan-séquence, qui les oblige à maintenir une justesse émotionnelle dans un laps de temps étendu. On a finalement l’impression d’avoir affaire à un projet pensé par un réalisateur trop gâté, obsédé par l’envie de faire son propre film « de banlieue », en n’omettant pas d’y mixer tous les clichés possibles, pour assouvir avant tout une soif de belles images de guerre urbaine, au lieu de dire véritablement quelque chose. Une tragédie manquée et oubliable dont on ne gardera que des séquelles visuelles.
Réalisé par Romain Gavras. Avec Dali Benssalah, Sami Slimane, Anthony Bajon… France. 01h37. Genres : Drame, Action, Thriller. Sur Netflix dès le 23 Septembre 2022.
Crédits Photo : © Netflix.