Aristocrats : Poupée de cire, poupée de son
Premier long métrage de Yukiko Sode, Aristocrats dresse le portrait aussi délicat qu’un cerisier du Japon de deux jeunes femmes tokyoïtes, piégées par une société encore largement dominée par le patriarcat et fragmentée par les classes sociales. S’il convainc sur son propos, ce drame pêche pourtant par sa forme trop convenue à coups d’images d’Épinal nipponnes.
A 27 ans, Hanako (Mugi Kadowaki) est toujours célibataire, ce qui déplaît fortement à sa famille riche et traditionnelle. Quand elle pense avoir enfin trouvé l’homme de sa vie, la jeune femme réalise qu’il entretient une relation ambiguë avec Miki (Kiko Mizuhara), une hôtesse d’un milieu plus modeste récemment installée à Tokyo pour ses études. Malgré le monde qui les sépare, les deux femmes se rencontrent et apprennent à se connaître. Yukiko Sode, par le biais des multiples trajets de ses deux héroïnes, en taxi (pour l’une) et à pied (pour l’autre), capture avec poésie et délicatesse Tokyo, métropole à perte de vue. Des gratte-ciels géométriques au restaurant chic aux teintes chaudes, en passant par un petit bouiboui d’un quartier populaire, la réalisatrice japonaise nous balade pendant deux heures cinq aux confins de cette ville aux quartiers somptueux et pluriels qu’elle filme comme un décor de carte postale. Mais la mise en scène aussi naturaliste que maîtrisée affadit presque les personnages, qui semblent parfois écrasés par le gigantisme et la beauté des endroits côtoyés. Par ce panorama de Tokyo, Yukiko Sode met le doigt sur le côté compartimenté de cette ville où chacun reste dans ses quartiers et auprès des gens de sa caste. Tokyoïte de naissance, Hanako est introduite pour la première fois dans des lieux qu’elle ne connaît pas par le biais de Miki, notamment la fameuse Tour de Tokyo. Avec cette séquence simple et pourtant évocatrice, la réalisatrice construit un parallèle saisissant, celui d’une ville en apparence infinie et pourtant cloisonnée, sans possibilité ni envie de se mélanger.
Dans cette cité étriquée, et malgré leurs différences sociales, la bien née Hanako et la moins aisée Miki ont un point commun : celui d’être toutes deux victimes des injonctions faites aux femmes. Pour Hanako, aucun proche ne se soucie de ses envies et désirs, et son destin est tout tracé. Alors qu’elle assiste à un repas familial après s’être faite larguer en tout début de film, aucun membre de sa famille ne songe à lui demander si elle va bien ou à la consoler, bien plus enclin à chercher un nouvel aristocrate célibataire avec qui la recaser rapidement puisqu’elle n’est « plus toute jeune » du haut de ses 27 printemps. Vêtue de vêtements classieux, quoique souvent mémérisants, et s’occupant comme elle peut pour contrer l’ennui puisqu’elle ne peut pas travailler, Hanako est prise au piège dans une cage dorée qu’elle rêve secrètement de quitter. Miki, pourtant issue d’une bourgade plus rurale qu’elle a été heureuse de laisser derrière elle, n’est pas plus vernie, traitée d’égoïste par ses parents lorsqu’elle leurs annonce qu’elle ne renoncera pas à ses études pour subvenir aux besoins familiaux. Yukiko Sode illustre habillement ce vent de liberté qui commence à souffler lentement sur les femmes japonaises. A l’image de Tokyo, ville segmentée en strates qui fait constamment peau neuve dans ses architectures, les délicates et ambitieuses héroïnes d’Aristocrats ont une dualité entre modernité et conservatisme face à une société loin d’être égalitaire et un patriarcat puissant régi par des conventions antiques. Un premier projet poétique et chic restant trop convenu dans sa forme, mais qui parvient à délivrer une vision acérée de l’égalité hommes-femmes au Japon.
Réalisé par Yukiko Sode. Avec Mugi Kadowaki, Kiko Mizuhara… Japon. 02h05. Genre : Drame. Distributeur : Art House. Sortie le 30 Mars 2022.
Crédits Photo : © Art House.