À l’Intérieur : Non sans Dafoe
Un Willem Dafoe fascinant, des pistes réflectives déroutantes sur l’utilité de l’Art… Le survival psychologique À l’Intérieur, premier long métrage de fiction de Vasilis Katsoupis, a de l’idée mais souffre de faiblesses scénaristiques et d’un dernier tiers en roue libre.
Le film s’ouvre sur le cambriolage d’un luxueux appartement new-yorkais orchestré par Nemo (Willem Dafoe), voleur chevronné et grand amateur d’Art bien décidé à piquer les tableaux d’Egon Schiele. Mais lorsque le système de sécurité se met à dérailler, Nemo est lâché par ses acolytes qui le guident à l’oreillette et se retrouve piégé à l’intérieur du penthouse sans possibilité d’ouvrir la porte d’entrée blindée ou de casser une fenêtre. En proie à cette « maison intelligente » à la climatisation capricieuse, passant d’une chaleur étouffante au froid le plus polaire, le cambrioleur se résigne à survivre dans cette prison dorée avec le peu d’eau et de nourriture à sa portée. Ce huis clos bling-bling bourré d’objets design, de mobilier dernier cri (notamment un congélateur lançant la Macarena à chaque ouverture de porte trop longue) et d’œuvres hors de prix a tout d’étrange à l’ère post-COVID et notamment aux confinements qui nous ont volé de longs mois d’existence. Lorsque l’on a vécu cette période dans un petit espace, difficile d’avoir une once d’empathie pour le protagoniste, qui s’est de surcroît emprisonné lui-même. Cette sensation de déjà-v(éc)u sans l’être totalement a du mal à s’évaporer au fil du film, malgré le fait que le scénario ait été pensé par Vasilis Katsoupis en 2010 après un séjour dans l’immense appartement d’un ami au Sud de Manhattan. Associé malgré lui à un enfermement forcé et collectif qu’on désire tous oublier, À l’Intérieur porte inéluctablement ce sentiment de malaise quant à cette période compliquée. Passé ce cadre initial déroutant, on se laisse par petites touches emmener dans les tribulations de Nemo pour s’échapper de sa cage.
Une autre piste de réflexion nous est proposée : celle de l’utilité de l’Art dans un moment où nos besoins premiers ne peuvent être assouvis. Vasilis Katsoupis s’attèle ici à montrer la part sombre du luxe, de sa valeur matérialiste et de son inutilité dans la vie réelle. Une réflexion intéressante pour les magnats du paraître, de l’aisance et de la réussite sociales qui perd pourtant en puissance lors du dernier tiers du film, plus difficile à appréhender et dont certaines séquences, où Nemo laisse notamment libre court à sa créativité sur les murs de l’appartement, sortent le spectateur de l’intrigue jusqu’à son final, poétique certes, mais attendu. A l’image du personnage, le scénario de À l’Intérieur tourne en rond, et l’on se demande si un format court n’aurait pas été plus adapté. Parsemée de motifs métaphoriques et de clins d’œil en tout genre, la mise en scène se révèle efficace comme pantouflarde, ne permettant pas au spectateur de ressentir pleinement la détresse, la peur, la folie et l’euphorie qui parcourent tour à tour l’esprit du protagoniste principal. Incontestablement le point fort du film, Willem Dafoe campe une nouvelle fois avec intensité un personnage isolé de tous qui perd progressivement les pédales (rôle qui n’est pas sans rappeler ceux qu’il a endossé dans The Lighthouse ou les premiers opus de Spider-Man). Le comédien aux traits patibulaires parvient à nous tenir en haleine par sa seule présence à l’écran, malgré un personnage dont on a du mal à s’émouvoir. S’il est réjouissant de le voir performer sous nos yeux, le récit proposé n’est pas à la hauteur de son Robinson Crusoé 2.0 et nous laisse sur notre faim.
Réalisé par Vasilis Katsoupis. Avec Willem Dafoe, Gene Bervoets, Eliza Stuyck… Grèce, Allemagne, Belgique, Grande-Bretagne, Suisse. 01h45. Genres : Drame, Thriller. Distributeur : L’Atelier Distribution. Sortie le 1er Novembre 2023.
Crédits Photo : © L’Atelier Distribution.