Consommateur en série
Avant tout, je suis un sériephage.
Je l’ai toujours été. Ça a commencé avec les dessins animés. Mais pas n’importe lesquels. Aux Oggy et les cafards, Zinzins de l’espace et autres Hé Titeuf, je préférais Batman, Pokemon, Dragon Ball Z, Les Chevaliers du Zodiaque. Très garçon, tout ça. Mais surtout, ces oeuvres majeures du petit écran racontaient une histoire qui ne semblait jamais s’arrêter. Chaque épisode comptait, à sa manière. Plus tard, à la fac, on m’apprendra que ça s’appelle un programme feuilletonnant. À l’époque, je les appelais mes histoires sans fin. Je détestais en rater, mais évidemment, quel gamin peut être devant Le Club Dorothée, TF! Jeunesse ou France 3 chaque mercredi, samedi et dimanche matin ? Mes parents seraient devenus fous.
Mon amour naissant pour les séries m’a ensuite fait prendre un risque inconsidéré : j’ai bravé l’heure du coucher. Je me sentais vaillant… et pourtant incroyablement en danger. Je devais être un tout petit peu plus vieux, j’étais censé être couché à 20h. Mais à 20h10, comprenez bien, M6 avait instauré un rituel inratable : la sitcom en access-prime-time. La chambre de mes parents contenait une petite télé qu’ils n’allumaient jamais. C’est un rire nasal et une voix braillarde qui m’a fait prendre ces risques inconsidérés. Fran Drescher, ma première idole du petit écran, était à l’époque une nounou vraiment d’enfer. Elle prenait soin de moi une demi-heure durant (pubs comprises) tout en me faisant grandir. Car s’opposer à ses parents, tester les limites des interdictions, n’est-ce pas grandir un peu ?
Plus tard, en 1997, la Trilogie du Samedi est venue rythmer mes week-ends. Charmed, Le Caméléon, La Sentinelle ont été mes babysitters. Mais pas Buffy. C’était trop tard, j’étais trop jeune, c’était trop interdit. Un samedi où mes parents étaient absents, j’ai bravé l’interdiction, une fois de plus. Ça n’avait ni queue ni tête. Des lycéens se transformaient en hommes poissons, leur peau pelait de manière écoeurante, une petite blonde leur réglait leur compte en quelques coups bien placés. Idole numéro deux. Par la suite, j’enregistrais les épisodes. Mes parents ne s’en sont pas rendus compte tout de suite. Après, il était trop tard. Dans la cour de récré, quand certains parlaient des séries de l’après-midi (Hartley coeur à vif, Dawson…), je cherchais des amateurs de Charmed et Buffy. Ça n’a pas été trop dur : la Trilogie a fait office de babysitter à toute une génération. Mais les séries n’étaient pas cool comme aujourd’hui. “Tu te rends compte du nombre d’heures que tu perds devant la télé ?”, m’a demandé une amie un beau jour au CDI. “Je ne les perds pas, puisque c’est là que je me sens bien”. Cette réponse, elle ne l’a sûrement pas comprise à l’époque. Elle serait sûrement plus entendue aujourd’hui.
Il faut savoir que j’étais un adolescent plutôt solitaire. En primaire et au collège, j’allais dans des établissements loin chez moi. Mes amis n’habitaient donc pas dans mon secteur, je les voyais rarement en dehors du temps scolaire. Pour m’occuper, j’écrivais beaucoup. Des nouvelles, pour le concours du lycée. Des fanfics, classiques souvent, érotiques parfois (ça reste entre nous). Merci les hormones. Et une série, très ambitieuse, convergence de toutes mes passions télévisuelles. Un adolescent découvre qu’il est une erreur dans un système habituellement bien huilé. Alors qu’à la fin de Buffy contre les vampires, les potentielles Tueuses sont toutes activées, un adolescent l’est par erreur. Lui (= moi, hein, soyons clair) se retrouve à faire équipe avec un observateur et une sorcière pour secourir des héros d’autres univers (Charmed, Le Monde Perdu, Scooby-Doo, tout y passait) en danger de mort. Personne ne l’a jamais lue, mais j’en étais terriblement fier.
A cet âge, j’ai également ouvert ce que beaucoup d’ados avaient alors : un skyblog. J’y mettais principalement des conneries. En 2005, ça a été 23 pages de photos, de tests idiots, de paroles de chansons, de photomontages assez craignos de moi en ange ou en démon (ah, l’adolescence). Lassé de cette vacuité, à 17 ans, j’en ai ouvert un second, plus posé. C’est là que j’ai écrit mes premières “critiques”. Fun with Dick & Jane, Buffy contre les vampires, Mémoires d’un geisha, Little Miss Sunshine. Mes premiers mots réfléchis, pensés, pesés, dans un style non-narratif. Ce blog numéro 2 s’appelait NewKingdom, comme une nouvelle déclinaison de mon univers. Un simili-spin-off pour un nouvel épisode de ma vie, feuilletonnant comme mes séries ! Je le présentais comme une ville, un microcosme, avec ses histoires, ses événements. Un siège (oui, ma ville s’est faite attaquer !) lui a fait fermer ses portes en 2009, après trois ans d’écriture. Pour ouvrir un autre blog, plus classieux, plus sérieux, plus réfléchi, plus “jeune adulte” (plus payant aussi !). Capital of Nowhere (d’après une chanson de The Gathering) a malheureusement disparu le jour où j’ai cessé de le payer. Des années d’archives disparues. Le pincement au coeur demeure, mais il faut bien avancer.
Quand d’autres s’extasient jour et nuit devant les merveilles du cinéma, je ne peux m’empêcher de revenir aux séries. “Aux feuilletons”, comme disait ma grand-mère. Celles qui t’attrapent à l’épisode 1 et te lâchent à l’épisode *insérer-un-nombre-ici*. Celles qui t’embarquent sans que tu ne le voies venir. Depuis Les Chevaliers du Zodiaque, il y en a eu du chemin. Aujourd’hui, quand sort un épisode de Game of Thrones, les avis publics font exploser Twitter, les critiques pros inondent Facebook. On a l’impression que les séries ont toujours été populaires, qu’elles ont toujours rassemblé. Mais on oublie qu’elles ont longtemps été le parent pauvre du cinéma. Un objet de consommation qu’on regarde de haut quand on ne prend pas le temps de le regarder tout court.
Et, encore aujourd’hui, pour les quelques titres surmédiatisés, combien restent dans l’ombre et récoltent les miettes que veulent bien leur laisser quelques amateurs qui ne passent pas leur temps sur Netflix et HBO ? Rendre aux séries leur légitimité, faire découvrir d’autre chose que des mastodontes US dont tout le monde parle, expliquer pourquoi The Big C m’a fait plus pleurer que toutes les autres séries du monde, pourquoi Pose est une étape majeure dans le monde des productions LGBTQ, pourquoi Doctor Who a plus d’audace que toutes ses concurrentes réunies, voilà ce qui me meut, ce qui m’embarque, ce qui me rappelle que prendre le temps et le courage d’écrire n’est pas chose vaine. Il y a tant de beauté dans ce monde, sous toutes les formes – courtes, longues, animées, dramatiques, comiques, fantastiques… Sans le réaliser, il a toujours été dans mes veines de la partager. Et je ne suis pas près de m’arrêter.