“Ce que j’adore avec Charlotte et Guillaume, c’est qu’ils continuent de rester fidèles à eux-mêmes” : Rencontre avec Noée Abita et Théodore Pellerin
Genèse de Philippe Lesage raconte les premiers amours, les premiers émois, les premières désillusions. Nous avons rencontré Noée Abita (Ava) et Théodore Pellerin (First Light, Juste la fin du monde), les deux héros de ce drame québécois qui incarnent avec beaucoup de justesse Guillaume et Charlotte, frère et sœur dans le film.
Propos recueillis par Marie Ingouf
Qu’est-ce qui vous a plu dans le scénario ?
Théodore Pellerin : Philippe prend des histoires qui paraissent assez simples, qui peuvent sembler avoir déjà été explorées, être vues et revues au cinéma, mais il en fait quelque chose de différent. Il amène l’histoire à un niveau très poétique. Les personnages sont à la recherche d’un amour qui est grand, d’une connexion, de quelque chose qui vaille la peine de vivre, et qui vaille la peine d’aller à fond là dedans. Je pense que c’est ce qui m’a beaucoup touché.
Noée Abita : Et puis le film parle de tellement choses différentes. De l’Amour avec un grand A, celui qui nous traverse et qu’on a en soi, et puis aussi de la violence extérieure, de la violence sexuelle des hommes et du monde. Ce qui m’a touchée, c’est le portrait qu’il fait de ces deux personnages, Guillaume et Charlotte, qui ont vraiment, pour moi, une âme très pure. Et comment est-ce que deux âmes si pures vivent dans un monde de tricheurs ? Dans un monde dangereux et violent ?
Et cette genèse, qu’elle est-t-elle ?
N.A : Pour moi c’est le commencement de tout, la naissance de tout. La naissance même de l’amour. Le fait de revenir à quelque chose qui est pur et qui est sain. Comme quand le personnage de Félix à la fin du film tient la main de son amoureuse.
Ce serait le fait de retrouver une forme d’innocence alors ?
N.A : Je ne sais pas si c’est de l’innocence. Ce serait plus l’essence même de l’amour, mais sans la convoitise.
T.P : Oui, c’est l’amour de l’enfant qui est non sexué, pas encore corrompu, qui est dans son état pur, qui ne passe pas à travers le filtre de l’adulte, de la sexualité, de la violence, des autres, du regard de l’autre. C’est quelque chose de très direct, de très ouvert. C’est un peu ça aussi que Charlotte et Guillaume vivent, sauf qu’eux sont dans un monde d’adultes alors que Félix et Béatrice sont encore dans un monde d’enfants. C’est le jardin d’Eden, c’est le début, le commencement où ça naît. Retrouver la genèse à la fin du film permet de mieux comprendre ce que Charlotte et Guillaume ont vécu. Je ne pense pas que les enfants soient si purs que ça, mais ils sont dans la pureté de ce type d’amour-là qui appartient à l’espérance de l’enfant.
Vous-êtes vous reconnus dans votre rôle ?
N.A : Je me suis pas reconnue dans Charlotte. Je dirais que j’avais envie de la découvrir, et que j’ai appris d’elle.
J’ai été frappée par sa force de vivre, son besoin de vivre. Là je me suis reconnue dans ce besoin de liberté, d’émancipation, et sa soif de constamment aller au-delà des choses. Même aujourd’hui, je me dis « putain Charlotte, là elle aurait poussé plus loin, elle serait allée plus loin ». Ce n’est pas une jeune fille qui s’arrête aux codes. Elle écoute son coeur et elle en souffre énormément, à cause de ce monde tellement violent.
Je me demande souvent ce que deviennent les personnages après un film, ce qu’ils font, comment ils grandissent. Et ce que j’adore avec Charlotte et Guillaume, c’est que je suis persuadée qu’ils continuent de rester fidèles à eux-mêmes. À garder leur âme intacte, malgré toutes les violences qu’ils subissent. C’est ça leur force, et c’est ce que j’admire en même temps.
Comment avez-vous travaillé avec Philippe Lesage ? Avez-vous participé à l’écriture de vos personnages, se sont-ils étoffés avec vous ?
N.A : Je pense que la manière de travailler avec Philippe a été très différente pour Théodore et pour moi. Je n’ai pas du tout participé à l’écriture, je suis arrivée très vite, et puis Philippe sait exactement ce qu’il veut, il est très directif et en même temps, il y a certaines scènes très improvisées, comme celle dans le bar. À un moment on prend des shots de vodka, ça c’était pas prévu. Il laisse une liberté à certaines choses, mais en même temps il faut aller où il veut aller. C’est beaucoup de plan séquences.
T.P : Il a son langage à lui. Pour atteindre ce qu’il veut, il a besoin de faire beaucoup de prises. Donc a beaucoup plus de jours de tournage que normalement sur un plateau québécois. On en a eu 40, normalement c’est 25. En fait il dirige beaucoup, mais sans vraiment le faire. Il dira : “Refais la. Refais la. Encore.” Tu sais que ce n’est pas parfait mais tu sais pas exactement ce qui ne va pas. Et puis je pense que lui-même ne le sait pas non plus, mais il veut voir. “C’est super mauvais ça.” Ou alors : “C’est bien.”
N.A : Il y a un challenge qui est constant. Et puis tu sais que quand on arrête, c’est qu’il a ce qu’il veut. Et des fois, tu peux être avec un réalisateur où tu te dis, « mince, peut-être qu’il sait ce qu’il veut mais peut-être que c’est pas très bien… » Alors qu’avec Philippe, il y a une confiance totale – j’ai une confiance totale en lui, je me suis vraiment donnée corps et âme pour lui – donc tu te laisses aller complètement, parce que tu sais qu’il arrive à voir la subtilité de la chose, là où tu es juste et là où tu ne l’es pas. Il a un regard incisif.
Vous aviez des modèles, une manière particulière de vous imprégner du rôle ?
T.P : Je me flagelle jusqu’à ce que je sorte quelque chose (rires). Non, ça dépend vraiment à chaque fois. Ça dépend du projet, puis de ce que demandent le réal et le rôle. Pour Genèse, j’ai eu la chance de faire des répétitions parce que j’ai fait passer des auditions à beaucoup d’acteurs. Il y a des scènes clés comme la scène du dortoir, celle où j’essaie d’embrasser Nicolas, que j’ai eu la chance d’explorer avec le regard de Philippe. J’aime ça, je trouve ça important les répétitions. C’est vraiment dommage qu’au cinéma on n’ait pas de répétitions, parce que je trouve ça tellement crucial, juste pour l’exploration, pour savoir ce que l’on dit et ce qu’on fait. Pour que les choses se déposent dans le corps et qu’on ait le temps de les explorer, de les comprendre et de les vivre, de s’endormir en y pensant, d’y rêver, d’avoir l’œil du réalisateur ou de la réalisatrice qui nous nourrit de cette façon-là. Et c’est à travers tout ça, du scénario, de la musique que Philippe m’envoyait, des films qu’il me demandait de regarder, des livres aussi. Il m’a donné Salinger. En fait, L’attrape-coeur, c’était quand même assez énorme pour ma compréhension de Guillaume.
N.A : Moi j’ai pas eu de répétitions, j’ai rien eu de tout ça. C’était plus des discussions avec Philippe sur le personnage de Charlotte. Essayer de m’imprégner de l’ambiance qu’il y avait à Montréal. C’était la première fois que je venais en Amérique. Les gens sont quand même très différents de Paris, de la France. Et puis on a misé sur un jeu très naturel, très instinctif, tout en changeant un certain nombre de choses évidemment.
T.D : Noée a pris très rapidement des expressions québécoises. «Trop cute» puis «c’est le fun». Elle disait même des «ostie» et des «tabarnak».
Vous avez des projets en ce moment ? Théodore, j’ai vu que tu avais un rôle dans The OA ?
T.P : Au Québec les médias en parlaient beaucoup, mais j’était tellement gêné, parce que c’est vraiment un tout petit rôle, je me disais «non, n’en parlez pas». Mais je viens de tourner une série à la Nouvelle Orléans qui s’appelle «On Becoming a God in Central Florida».
N.A : J’ai fait une série pour Arte, Une Île, qui va sortir à l’automne prochain, avec Laetitia Casta. C’est Julien Trousselier qui la réalise.