Cannes 2023 #4 I The Zone Of Interest : La petite maison dans la Stasi
Jonathan Glazer est un réalisateur qui prend son temps, comme en témoignent les dates de sortie de ses derniers films, (Under The Skin, 2013 et Birth, 2004). Celui qui démarra sa carrière avec le génial film de braquage Sexy Beast (2002) fait son retour, qui plus est en compétition, avec The Zone of Interest. D’ores et déjà favori pour la Palme d’Or, Glazer nous a livré un grand film, admirable et glaçant.
De la quatrième réalisation de Jonathan Glazer, on ne savait rien ou presque. Qu’il évoquait Auschwitz et que la formidable Sandra Hüller était au casting (aux côtés de l’excellent Christian Friedel). L’un des privilèges de découvrir un film à Cannes est d’avoir l’assurance de ne pas en savoir davantage. En l’occurrence, cet aspect est précieux, tant Glazer a savamment pris son temps pour nous présenter le véritable sujet de son histoire. Ce n’est donc pas ici que vous lirez les détails qui en divulgueraient trop.
Comment approcher un tel sujet, une charge horrifique déjà plusieurs fois abordée, et arriver à en donner un point de vue aussi inédit ? C’est là que Glazer fait des miracles. Un après-midi baignade à la rivière, un jardin fleuri et parfaitement entretenu agrémentant une maison bien tenue, voici à quoi ressemble le quotidien des époux Höss. On découvre la famille, nombreuse et heureuse. Les parents sont attentifs et le couple complice. Où placer l’horreur face à un tel tableau ? Par où entre-t-elle ? Et surtout, qui la laisse entrer ? Une fois le jeu dévoilé, la sidération nous envahit peu à peu et la déflagration est totale.
L’histoire est complexe car malgré l’apparente simplicité de ce qu’on voit à l’écran, la confection de cette entreprise a nécessité une technique imposante. Sur le tournage, jusqu’à dix caméras tournaient simultanément pour mieux capter l’abjection derrière le naturel. Un grand soin a été accordé au son et l’attention qui lui sera porté pendant la séance est primordiale. Comme sur Under The Skin, c’est la surdouée Mica Levi qui se charge de la bande-son, pour un résultat glaçant. À l’écran, une luminosité mate et des décors rutilants convoquent contre toute attente l’imagerie de Jacques Tati. Après une phase d’absorption puis de digestion, on réalise d’ailleurs avec effroi que même l’humour a réussi à trouver une place dans ce scénario dantesque. À une époque où l’extrême droite a déjà franchi les portes de certaines démocraties, The Zone of Interest nous rappelle avec quelle facilité le système concentrationnaire fut mis en place, et l’importance de rester vigilant face à l’apparente banalité du mal.
Réalisé par Jonathan Glazer. Avec : Sandra Hüller, Christian Friedel… Durée 1h46. Genre : Drame. En compétition du Festival de Cannes 2023. Distributeur : BAC Films. Sortie le 31 Janvier 2024.
Crédit Photo : © 2023, A24 Mica Levi.