Cannes 2023 #1 I Anselm : A comme Icare
Cet article a été initialement publié le 18 Mai 2023 à l’occasion de la présentation du film au Festival de Cannes 2023. Il est réédité sous sa version originale pour la sortie en salles du film.
De l’avis des organisateurs, 2023 est l’année du renouveau à Cannes. Nouveau sélectionneur pour la Quinzaine (qui devient d’ailleurs celle des Cinéastes), jury moins people qu’à l’habituée d’après le délégué général, et présence de nouveaux talents en forte hausse, quitte à recaler les habitués. Aux Écrans Terribles aussi, on a décidé de se renouveler. Alors que j’ai à nouveau le plaisir de couvrir les festivités, fini le format journal, place à des critiques ciblées sur un film que j’aurai particulièrement aimé, ou pas.
Je commence alors avec Anselm, qui permet à Wim Wenders de revenir en terrain conquis à plus d’un titre. Tout d’abord au documentaire en 3D, 12 ans après Pina, mais aussi à un sujet qu’il a maintes fois filmé et dont il s’était éloigné ces dernières années : l’Allemagne. Car cette réalisation à la technique ultra-pointue est aussi le moyen de se replonger dans l’histoire de son pays, à travers la vie et l’œuvre de son compatriote, l’artiste Anselm Kiefer.
De mémoire, jamais la 3D n’a été autant mise au service d’un film. Ici elle donne du relief au propos, magnifiant les plans tournés en 6K par des fondus irréels, floutant les enchaînements et créant ainsi de nouvelles textures. À travers une caméra agile et calme, Wenders nous donne à voir les racines d’une quête artistique, au plus près des sujets ou au contraire, en prenant de la distance grâce à de majestueux plans larges captés au drone.
Wenders s’immisce avec pudeur et poésie dans la vie et le travail d’un homme en perpétuel dialogue avec son enfance, son passé et celui de son pays. D’ailleurs, si on n’est pas familier du travail de Kiefer, un bon aperçu de l’artiste et de son œuvre nous est donné en une scène, au début du film. Anselm se déplace à vélo dans un de ses spectaculaires ateliers, où trônent un nombre incalculable d’œuvres paraissant inachevées.
Kiefer a une manière bien à lui d’aborder les choses, une manière que je qualifierai de joyeusement austère et pourtant son art déborde de vie et d’espoir. L’artiste n’est jamais torturé, il est au contraire très concentré, mesuré et méthodique. Toujours dans le calme, il donne vie à des tableaux torturés, chargés de matières et de procédés en tous genres. Dans le film, la démarche rigoureuse de Kiefer, sondant sans cesse ses propres plaies comme celles de son pays et de son histoire est contrastée par une forte dimension poétique, pas seulement due à Wenders. Des vers de Paul Celan, chuchotés en voix off, ou encore un extrait récité par la poétesse Ingeborg Bachman, habillent les images en leur apportant soudain un sens nouveau.
Entre des images d’archives et une reconstitution de son enfance, on suit Kiefer de studios en studios, toujours face à des piles d’œuvres monumentales. Dans ces espaces aux volumes infinis, le réalisateur compose des images de l’artiste à l’œuvre ou fait flâner sa caméra entre les toiles et les sculptures à la manière d’un insecte volant. En effet, Wenders approche son sujet avec beaucoup d’humilité, le laissant se raconter par différents moyens. Il parle tout bas et peu mais arrive à faire passer beaucoup d’émotions malgré tout. On découvre alors Anselm enfant, solitaire mais heureux, où déjà se remarquait sa fibre artistique lorsqu’il dessinait dans les jardins de la grande demeure familiale.
On se rend compte pendant le film des nombreux points communs que les deux artistes partagent. Une grande précision dans leur art, une sérénité inébranlable ou encore une façon de se mettre en retrait de leurs sujets. Mais un autre motif commun survient à de nombreuses reprises dans Anselm, celui des ailes. Si on pense évidemment aux Ailes du désir (1987), le si beau film de Wenders où l’ange Bruno Ganz veille avec dévotion sur des humains non conscients de sa présence, on les retrouve également sur les avions qui jonchent le sol d’un de ses hangars ainsi que sur les mannequins ailés qui habitent certains projets de Kiefer. Comme s’il ne perdait jamais de vue la hauteur qu’il faut savoir prendre pour évoquer le passé.
Réalisé par Wim Wenders. Avec : Anselm Kiefer, Daniel Kiefer, Anton Wenders… Allemagne. 01h33. Genre : Documentaire. Distributeur : Les Films du Losange. Séance Spéciale au Festival de Cannes 2023. Sortie le 18 Octobre 2023.
Crédits Photo : © 2023, Road Movies.