C’est qui cette fille, l’OVNI ciné de cet été ?
Présenté comme « l’anti-comédie romantique de l’été », C’est qui cette fille s’est offert une belle avant-première à guichets fermés au Champs-Elysées Film Festival cette semaine. Derrière un pitch assez classique (une jeune femme se met à harceler un homme dont elle est irrémédiablement tombée amoureuse) se cache un petit ovni franco-américain qui séduit autant qu’il désarçonne. Explications.
Ce qui nous a intrigué, avec C’est qui cette fille, c’est avant tout son affiche, élégante, inhabituelle. Sur un fond bleu nuit s’y détachent les formes d’une femme, une paire de jumelles à la main, dessinées tout en néon. Entourée de plusieurs cercles qui l’enferment (ou l’hypnotisent ?), elle semble observer des visages, des silhouettes, dont celles de deux stripteaseuses. Pleine de promesses, cette affiche nous renvoie à quelques noms bien connus, ceux de The Neon Demon, d’Only God Forgives ou d’Inherent Vice. Des films qu’on n’aime pas forcément d’un amour profond, mais qui ne laissent personne indifférent. En guise de sortie estivale, période bénie des comédies légères et des petits films sans prétention, C’est qui cette fille détonne, intrigue. La curiosité était piquée.
« Cette fille », c’est donc Gina. Hôtesse de l’air lassée qu’on ne la remarque pas, Gina décide de changer de vie lorsqu’elle rencontre Jérôme à Paris après de longues heures de vol. Barman bourru et pas super loquace dans un club de striptease, Jérôme n’a rien de très attrayant. Mais le mari de Gina s’est pendu quelques temps plus tôt et la solitude lui pèse. Et surtout, Jérôme la voit vraiment, lui. Alors Gina s’attache, vite, trop vite, va le voir après chaque vol, se pointe à son boulot, s’invite chez lui, suit sa gonzesse, ne le lâche plus. Bref, Gina pète un boulard. Pour filmer cette histoire qui nécessitait (il nous semble) une grande délicatesse, le réalisateur américain francophile Nathan Silver s’est entouré d’un Chris (Mason Wells, co-auteur), d’un Sean (Price Williams, directeur de la photo), d’un Arjun, d’un Hugo, d’un John et d’un Paul au son, au montage et à la musique. Une belle brochette bien masculine pour explorer les méandres de la psychologie féminine ? Ça nous paraît toujours un peu étrange, mais pourquoi pas.
Très vite, C’est qui cette fille témoigne de son envie de s’éloigner d’une narration et d’une esthétique trop naturaliste. Fidèle à la promesse faite par son affiche, le film joue avec ses focales, teinte ses images de roses, de verts, de bleus. Et assume pleinement sa narration borderline qui implique qu’on puisse ne pas péter un cable quand une fille pas très stable s’introduit chez nous au milieu de la nuit. C’est qui cette fille ne s’encombre pas de ce réalisme-là, préférant distiller au fil des scènes son ambiance particulière, entre conte de fées désabusé et thriller sous LSD. La tête un peu dans les nuages, le film garde pourtant les pieds sur terre, ce que d’aucuns pourront trouver rassurant (l’histoire a un début, un milieu, une fin et ne part jamais dans la stratosphère), mais que d’autres, comme nous, trouveront peut-être un peu regrettable. On aurait aimé que Nathan Silver et son équipe nous fassent perdre la tête comme ils retournent celle de leur héroïne et assument leur psychédélisme visuel et leur esthétique néon, qui se retrouvent vite limités aux scènes de rêveries ou aux passages dans le club de striptease. Nathan Silver a de la personnalité, des références intéressantes (de Fassbinder aux thrillers érotiques à la Liaison Fatale) et une envie remarquable de faire exploser les codes en liant des genres pourtant difficiles à entremêler. Il nous paraît alors d’autant plus dommage de ne pas avoir poussé le curseur de l’incongruité, du psychédélisme et de la folie encore plus loin.
On ne peut s’empêcher de voir en C’est qui cette fille « un film du milieu ». Comprendre une oeuvre aux nombreuses aspirations (et inspirations) qui se serait établie au carrefour de chacune d’entre elles. Entre la technique américaine et un amour (peut-être un peu idéologique et touristique) pour Paris et la culture française. Entre un besoin de narration construite et un désir d’onirisme et de psychédélisme virulent. Entre une nostalgie du cinéma d’avant, représenté par Jacques Nolot (habitué des Téchiné, Leconte, Denis ou Lelouch) ou Françoise Lebrun (Belvaux, Vecchiali, Duras), et l’énergie du cinéma français moderne portée par Damien Bonnard (Rester Vertical) et Esther Garrel. Oui, C’est qui cette fille a le cul entre de nombreuses chaises. On l’aurait aimé plus assumé, plus poussé, plus incisif. On a bien le droit d’être exigeants, après tout… En l’état, il n’en reste pas moins un film intrigant à la forte personnalité et à l’identité trouble, et une vraie proposition de cinéma aux antipodes des sorties habituellement prévues durant l’été. Pas de quoi se sentir floué par les promesses qu’on nous a faites.
C’est qui cette fille (Thirst Street), de Nathan Silver. Avec Lindsay Burdge, Damien Bonnard, Esther Garrel, Lola Bessis, Jacques Nolot, et la voix d’Anjelica Huston. Genre : Thrillo-comédo-drame coloré ? Nationalité : USA / France. Durée : 1h23. Distributeur : Stray Dogs. Sortie le 25 Juillet 2018.