Balade sonore parmi des compositeurs discrets et/ou émergents
Tu es lassé(e) d’entendre la progéniture de tes voisins hurler à tue-tête « Libérée, Délivrée » et autres chansons Disney toute la journée ? D’assister bien malgré toi aux tentatives foireuses du mec d’en face pour interpréter le fameux « Hedwig’s Theme » de John Williams à la clarinette ? De réaliser que ta voisine du dessus écoute (beaucoup trop) « My Heart Will Go On » depuis que son Jack est parti ? Tu es également usé par les bandes originales (merveilleuses certes, mais entendues et réentendues) composées par Hans Zimmer, Danny Elfman et Ennio Morricone ? Ô toi fanatique de bandes originales, n’aie crainte, cet article est fait pour toi. Notre rédactrice Camille ouvre ton horizon, et t’as même concocté des playlists pour l’occasion !
Hildur Guðnadóttir
Je n’avais jamais entendu parler de Hildur Guðnadóttir avant la cérémonie des Oscars 2020. Cérémonie durant laquelle elle a remporté l’Oscar de la Meilleure Musique de film grâce à son travail de composition sur Joker. Quelle surprise (et bonheur) de voir une femme récompensée dans cette catégorie ! C’est la huitième femme à être nommée dans cette catégorie et la quatrième à recevoir cette statuette. La dernière en date étant la compositrice Anne Dudley, qui a été récompensée en 1998 pour la bande originale de The Full Monty. Chanteuse et surtout violoncelliste (d’où la présence très importante de cet instrument dans son travail), Hildur Guðnadóttir a collaboré à plusieurs reprises avec les groupes Animal Collective ou encore Sunn O, avant de travailler pour le cinéma accompagnée – ou non – du compositeur Jóhann Jóhannsson. Les bandes originales de la musicienne islandaise allient souvent des sonorités sombres et dramatiques, parfois glaçantes, à son violoncelle omniprésent. Des compositions généralement peu joyeuses certes, mais toujours empreintes d’une intensité tragique et captivante.
Playlist aux petits oignons des compositions de Hildur Guðnadóttir :
David Wingo
J’ai été fascinée par Take Shelter (2011) de Jeff Nichols lors de sa sortie en salles. C’est ce drame survivaliste à la bande originale saisissante qui m’a permis de découvrir le travail du compositeur américain David Wingo. Un univers qui revêt des sonorités mélancoliques, mystérieuses et dramatiques, au diapason des films sur lesquels Wingo a travaillé. On se laisse bercer et chahuter par la musique de ce compositeur, et c’est particulièrement le cas dans la bande originale de Take Shelter – qui reste à ce jour sa création la plus réussie selon moi. David Wingo, outre son travail au cinéma, est par ailleurs membre du groupe de rock texan Ola Podrida depuis 2007. Discret, il est aussi un musicien fort loyal puisqu’il collabore régulièrement avec les mêmes réalisateurs, notamment Jeff Nichols et David Gordon Green. Tout aussi fidèle en musique, Wingo a travaillé plusieurs fois avec les musiciens Michael Linnen et Jeff Mcllwain sur des bandes originales, et aussi avec l’excellent groupe Explosions in the Sky, en tournée et au cinéma pour Prince of Texas (2013) et Manglehorn (2014) de David Gordon Green.
Playlist aux petits oignons des compositions de David Wingo :
Jóhann Jóhannsson
Acolyte de Hildur Guðnadóttir, Jóhann Jóhannsson est un compositeur et pianiste islandais qui nous a quittés prématurément en février 2018. Grande amatrice des films de Denis Villeneuve, j’avais découvert la musique de Jóhannsson par ce biais. Tout a commencé avec Prisoners en 2013. Si la bande originale de ce film m’a autant touchée, c’est parce qu’elle parvient à être aussi pesante que flottante en participant à l’ambiance suffocante du film. Une sensation troublante. Les compositions de Jóhann Jóhannsson sont pleines d’émotions, un subtil mélange mélancolique et aérien dont je ne me lasse jamais tant cela parle à ma sensibilité. Mon coup de cœur pour le travail de ce compositeur a été par la suite confirmé avec la bande originale de Premier Contact à l’ambiance sourde et aux voix synthétiques marquant la présence extraterrestre. Vous l’aurez compris, il y a définitivement quelque chose qui me parle dans le travail de Jóhannsson, d’où ma difficulté à décrire l’effet que produit sa musique et ma profonde tristesse lorsque j’ai appris sa disparition.
Playlist aux petits oignons des compositions de Jóhann Jóhannsson :
Atticus Ross & Trent Reznor
Voilà un duo dont le travail en commun est toujours remarqué et remarquable – même s’il leur a parfois été reproché le côté “trop efficace” de leur travail. Alors, je sais… Ross & Reznor ne sont pas vraiment des compositeurs discrets, et émergents, mais je tenais à les citer malgré tout ici, pour ceux qui ne connaitraient éventuellement pas leur travail. Nommés pas une, mais deux fois à l’Oscar de la Meilleure Musique de film et aux Golden Globes cette année pour Soul et Mank, les deux compères ont raflé le Golden Globe et l’Oscar de la Meilleure Musique de film pour Soul. Les deux hommes n’en sont pas à leur trophée d’essai, puisqu’ils avaient déjà été largement récompensés pour leur première bande originale en tandem en 2010 pour The Social Network de David Fincher. Le réalisateur américain n’a depuis pas cessé de collaborer avec Ross et Reznor, qui se sont retrouvés sur Millénium : Les Hommes qui n’aimaient pas les femmes (2011), Gone Girl (2014) et Mank (2020). J’ai découvert les notes planantes de Trent Reznor et Atticus Ross dans 90’s de Jonah Hill. Un film tendre et sincère sur l’adolescence et le milieu du skate, sublimé par les compositions du duo. Plus récemment, ils m’ont également tiré les larmes aux commandes auditives du sublime Soul de Peter Docter avec leurs notes douces et rassurantes, assez éloignées des compositions souvent plus torturées des deux compères.
Playlist aux petits oignons des compositions de Atticus Ross & Trent Reznor :
Gustavo Santaolalla
Tu connais probablement ce compositeur argentin si, comme moi, tu apprécies la filmographie d’Alejandro González Iñárritu, ou que la bande originale du Secret de Brokeback Mountain t’a mis la (grosse) larme à l’œil. L’instrument de prédilection de Gustavo Santaolalla est, tu l’auras largement compris après l’écoute de quelques unes de ces compositions, la guitare et ses autres dérivés à cordes. Je crois que mon premier souvenir de contact avec Santaolalla remonte au visionnage de Babel. Un film qui m’a profondément touchée par son scénario, et sa bande originale à fleur de peau. Le morceau Endless Flight est d’autre part le morceau que je trouve le plus envoûtant du film. Ici encore, la sensibilité de Gustavo Santaolalla ne peut laisser de marbre. De la guitare sèche et minimaliste du Secret de Brokeback Mountain aux thèmes folkloriques de Carnets de Voyage, le compositeur parvient à rendre souvent ses bandes originales aussi émouvantes que spirituelles. Gustavo Santaolalla invite au voyage à chacune de ses collaborations cinématographiques sans jamais oublier ses racines d’Amérique du Sud.
Playlist aux petits oignons des compositions de Gustavo Santaolalla :
Abel Korzeniowski
Ma rencontre auditive avec les compositions délicates d’Abel Korzeniowski remonte à 2016 et le visionnage du glaçant Nocturnal Animals de Tom Ford. Une rencontre plutôt récente donc. Les notes du compositeur polonais m’ont notamment transportée lors de la scène d’ouverture du film. Une partition marquante que je me suis empressée de chercher sur l’Internet en sortant de la salle. Korzeniowski a le don d’appuyer des ambiances dramatiques avec des sonorités intenses, mélancoliques et mystérieuses, quasiment ensorcelantes. C’est particulièrement le cas dans A Single Man (2009), où la bande originale du natif de Cracovie parvient à intensifier avec maestro la douleur et la dérive du personnage principal campé par Colin Firth. Une bande originale captivante, et largement remarquée en festival, qui crée un tournant dans la carrière du violoncelliste qui s’illustre par la suite au cinéma comme à la télévision. Petite exclusivité de la playlist ci-dessous, un extrait de la bande originale du thriller dramatique Un Espion Ordinaire, dont la sortie en salles est prévue début juin, figure parmi ma sélection aux petits oignons. Plaisir d’offrir !
Playlist aux petits oignons des compositions d’Abel Korzeniowski :
Nicholas Britell
Ha Nicholas Britell… Je me souviens encore de la gifle massive reçue lorsque j’ai vu Moonlight (2016) pour la première fois. Un coup de cœur à tous les niveaux. La bande son du film en faisait donc partie. C’est à ce moment-là que je me suis penchée sur les travaux de Britell, qui est pour moi l’un des compositeurs les plus prometteurs de sa génération. La bande originale de Moonlight figure aujourd’hui encore dans mon top B.O. de tous les temps avec son violon tour à tour aérien et pesant, ses chœurs enivrants… Je ne m’en lasserai (je l’espère) jamais. Comme Jóhann Jóhannsson, Nicholas Britell a ce petit quelque chose inexplicable dans ses compositions qui me parle profondément. L’envie de créer des émotions par la musique de ce compositeur américain ne date pas d’hier, puisqu’il a débuté le piano très tôt, après avoir eu un coup de cœur pour la bande originale des Chariots de Feu (1981) à l’âge de cinq ans. Amoureux du travail de Philip Glass, Nicholas Britell est aussi un passionné de hip-hop. Il a d’ailleurs à son actif plusieurs morceaux de ce genre : dans le court métrage Killer (2009) ou encore dans le long métrage Gimme the Loot (2012).
Playlist aux petits oignons des compositions de Nicholas Britell :
Crédits Photo : The Big Lebowski © Universal Pictures France.