ACID Cannes 2024 : l’égalité des chances n’existe pas
À côté des sélections de la Compétition officielle, de la Quinzaine des réalisateurs et autres branches du Festival de Cannes, l’ACID dévoile chaque année sa propre programmation de neuf films venus du monde entier. Dans plusieurs d’entre eux, la jeunesse se prend des murs et cherche une manière d’exister envers et contre tout, en particulier contre une société inhospitalière. Focus sur deux films entre résignations lucides et espoirs (illusoires ?) d’une vie meilleure.
It Doesn’t Matter, de Josh Mond (USA)
Avec Alvaro, son ami cinéaste et une lutte sans merci contre les obstacles de la vie
Le tourbillon sensoriel de la programmation de l’ACID nous vient des États-Unis et nous propose justement d’en visiter une bonne partie dans cet OVNI cinématographique comme on en voit peu. It Doesn’t Matter nous emmène dans un long voyage halluciné en terres américaines avec Alvaro, un jeune homme paumé de Staten Island malmené par l’existence, qui tente de survivre (et même, parfois, de vivre tout court) face à l’adversité. Parents abusifs, pauvreté extrême, drogues, humiliations et licenciements : le parcours d’Alvaro est un grand huit chaotique qui trouve un écrin à sa démesure dans la réalisation de Josh Mond. Majoritairement filmé au smartphone, à la webcam ou à l’appareil photo, It Doesn’t Matter capte au plus près le témoignage d’Alvaro en l’accompagnant de Brooklyn à Portland, en passant par Hawaï et Las Vegas. Le tout dans ce qui ressemble à s’y méprendre à un documentaire profondément intime sur une âme broyée par un système capitaliste qui ne lui laisse – et ne lui laissera jamais – la moindre chance. Sauf que le film de Josh Mond est tout sauf documentaire. Alvaro est joué par Jay Will, qu’on a pu voir dans La Fabuleuse Mme. Maisel. Le cinéaste qui le suit n’est pas Josh Mond, mais Christopher Abbott, comédien vu récemment dans le Pauvres Créatures de Lanthimos. It Doesn’t Matter brouille donc les pistes du docu et de la fiction, de la même manière qu’il passe des confessions captées en pleine rando par une caméra chancelante à une animation flashy survoltée aux impressions de délires hallucinogènes. Du cinéma imprévisible et surprenant, hautement créatif, quoique parfois insaisissable. Entre chaos visuel et maximes philosophiques, It Doesn’t Matter est un drôle de film qui colle aux rétines, tel un reflet schizophrène au délire permanent du monde contemporain. Wow.
© CHMOND inc
Château rouge, de Hélène Milano (France)
Avec Bilal, Mamadou et leurs camarades, des conseillers d’éducation du feu de Dieu et un désenchantement général qui fait mal au cœur
Si l’effet Waouh de la programmation de l’ACID vient donc d’outre-Atlantique, la claque émotionnelle est bel et bien française ! Après deux documentaires déjà dévoués aux adolescents et leurs identités (Les Roses Noires et Les Chardons Ardents), Hélène Milano a posé sa caméra et son regard dans un collège de la Goutte d’Or, un quartier populaire de Paris. Au centre de Château Rouge, une classe de troisième, à l’heure où l’on commence à faire ses choix pour l’année suivante. Seconde générale, Bac pro, CAP ? On serait tenté de dire que c’est à eux de choisir… Mais quand on vit dans un milieu aussi défavorisé, où l’on compte davantage de portes fermées que de portes ouvertes, est-ce vraiment le cas ? Ces élèves en plein questionnements, la documentariste les filme évidemment dans les salles de cours, lors de séquences assez classiques pour le genre. Mais surtout, Hélène Milano a fait le choix de s’entretenir avec eux en face à face, les un.e.s après les autres. Et c’est dans ces moments-là que le film s’envole véritablement.
Le cinéma, et les médias dans leur ensemble, ont souvent tendance à montrer les élèves de quartiers pauvres comme dissipés, chahuteurs ou en tout cas très peu enclins à l’apprentissage. Dans cette bulle de bienveillance que la réalisatrice leur a offerte, où leur parole est sacrée et respectée, ils et elles se révèlent beaucoup plus nuancés. Rêveurs, joviaux et ambitieux, bien sûr, comme des adolescents devraient l’être. Mais aussi perspicaces, tristes, fatalistes même. En tout cas lucides de ne pas avoir les mêmes chances d’avancer dans la vie que des enfants d’autres quartiers. De ne pas forcément avoir voix au chapitre quant à leur propre avenir. De devoir suivre un chemin d’ores et déjà dessiné, que ce soit par leur famille, par l’école ou (et surtout ?) par la société. Quand on leur demande ce que ça leur fait « de grandir », ils répondent qu’ils prennent conscience de la manière dont le monde tourne et qu’ils regrettent déjà leur innocence d’enfant. Désenchantés dès 13 ans… Le constat est éprouvant. Château Rouge libère la parole de tout un cercle d’adolescents déjà confrontés au déterminisme social et met en lumière l’investissement sans faille (mais non sans ambivalence) du personnel éducatif de l’établissement. Comment être à l’écoute et soutenir les rêves des jeunes tout en ayant conscience de la réalité des choses et de la probabilité qu’ils soient inatteignables ? Hélène Milano aborde toutes ces questions, avec une vraie conscience des enjeux et une délicatesse toute appropriée. On en est sortis avec le cœur drôlement serré et l’envie de tout changer.
©TS Productions
Intrigués par la programmation de l’ACID Cannes 2024 ?
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