Wildlife de Paul Dano – La petite histoire de l’Amérique
Paul Dano passe derrière la caméra avec un drame familial à l’allure classique où l’intensité dispute à la retenue. Un film présenté à Sundance, qui a également ouvert la dernière Semaine de la critique cannoise.
Il est assez courant que les acteurs aient des envies de réalisation. C’est une nouvelle fois le cas avec Paul Dano, comédien au parcours inégal mais dont la présence n’aura cessé de nous marquer, de Little Miss Sunshine à There Will Be Blood. A 34 ans, il entame donc une carrière de réalisateur qui ne paraît pas n’être qu’un caprice d’acteur. Avec sa compagne, l’actrice et dramaturge Zoe Kazan, ils ont choisi d’adapter un roman de l’écrivain américain Richard Ford (Une saison ardente, 1990, Editions de l’Olivier). En résulte, un film empathique et contemplatif, autant marqué par la mélancolie que par une intensité inquiète, qui annonce la naissance d’un cinéaste.
Une famille en déséquilibre
Paul Dano développe un style très classique. Ce qui pourrait étonner pour un premier film d’un jeune réalisateur s’il ne parvenait pas progressivement à le rendre plus personnel, avec une attention aux personnages qui incarnent avec justesse un récit élégamment mis en forme. Plusieurs thématiques sont convoquées, se mêlant les unes aux autres : de la chronique sociale d’un coin oublié de l’Amérique des années 1960 au drame familial en passant par le portrait d’un adolescent en construction face au chaos du monde et de celui de sa famille. Âgé de 14 ans, Joe (Ed Oxenbould) voit, le temps de l’été 1960, dominé par les feux de forêt, ses parents s’éloigner l’un de l’autre. Chacun de ces trois personnages se retrouve sans repère, perdu au fin fond de l’Amérique, absent de l’avancée de l’Histoire. Décrivant une époque qu’il n’a lui-même pas connu et une réalité loin de sa jeunesse new-yorkaise, Paul Dano rend ce récit atemporel et universel, lui permettant d’interroger le rapport entre l’individualité et le groupe familial. Le couple parental s’étiole : le père part lutter contre les feux de forêts, et la mère, lassée, décide de prendre sa vie en main, et un amant au passage. Joe, lui, vit, hébété et impuissant, cette catastrophe familiale, ne sachant à quoi se rattacher alors que l’âge adulte approche.
Le mouvement du monde
Le néo-cinéaste filme ses personnages en leur portant une attention délicate, sans misérabilisme, et en captant avec retenue cette intensité sourde qui les anime et meut le film, dans un sentiment général de désolation mélancolique. Carey Mulligan et Jake Gyllenhaal interprètent avec justesse ces deux parents qui ne savent plus se parler et qui semblent assister eux-mêmes, lointains, à leurs propres vies comme au mouvement du monde. Alors que les temps sont en train de changer, ils sont déjà perdus, enfermés dans une existence qu’ils n’ont pas choisie. Le réalisateur les filme tel des silhouettes errantes, comme vidées de leur sens. Les feux qui ravagent les forêts dans l’horizon lointain incarnent un hors champ troublant qui rappelle aux personnages leur fragilité et la précarité du monde. Ils consument symboliquement tout espoir lors d’une scène déchirante dans laquelle la mère de Joe, désespérée, l’emmène vers la forêt en flammes pour lui rappeler que son père les a abandonnés. Néanmoins, pour le jeune Joe, tout reste à faire, la vie est à lui. Encore faut-il réussir à trouver sa place dans le monde et à lui donner un sens.
Wildlife, Une saison ardente de Paul Dano, avec Carey Mulligan, Ed Oxenbould et Jake Gyllenhaal. Drame. Etats-Unis. 1h45. 2018. ARP Sélection. Sortie : le 19 décembre 2018.