Trouville Express #6 : Hystérie, remise de prix et larmes de joie
Citoyens du monde, vous avez suivi depuis une semaine mes aventures au cœur du festival de cinéma le plus insolite de la planète court-métrage : Off-Courts Trouville. En l’espace de quelques jours, mes chroniques sont devenues virales et aussi populaires que la story Insta de Kim Kardashian – d’ailleurs, elle vous embrasse. Pour mon dernier article, c’est un menu 2 pour le prix d’1 : voici le récit des deux ultimes journées passées à Trouville.
Jeudi 13 septembre, je découvre au matin le Village un peu moins rempli : la plupart des professionnels sont déjà repartis. Néanmoins, il y a encore suffisamment de monde pour que je sois congédié sans ménagement de la salle des ordinateurs du Marché. « Tu comprends Alex, il reste encore des distributeurs qui ont besoin de voir les films. ». Ruminant des envies de meurtres, j’assiste à la projection du dernier programme de compétition « Québec 3 ». Une très belle découverte m’y attend : Black Friday de Stéphane Moukarzel.
Black Friday suit les préparatifs des employés d’une grande surface, qui s’apprête à ouvrir ses portes à une horde déchaînée de clients. On reste cloué au siège par l’art de la tension et du montage que le réalisateur arrive à distiller à chaque instant. Le film se construit en une longue attente angoissée, et l’on assiste impuissant et terrifié à l’insatiable appétit de consommation qui va bientôt dévorer les personnages. Black Friday évoque explicitement le film fantastique, et particulièrement le travail de George A. Romero, dont il tire son inspiration pour la composition de certains cadres. Clients lobotomisés par le marketing des soldes, ce court métrage illustre surtout la pression constante de la direction du magasin, et de son esprit de management ultra-offensif. C’est l’aboutissement funèbre d’une philosophie du travail, qui vise à aliéner l’employé et le consommateur dans un seul et même mouvement.
Le soir, nouvelle et dernière projection des films Kino réalisés dans les 48 heures précédentes. Comme toujours, leur qualité est inégale, mais la passion, la sincérité et le désir décomplexé de cinéma qui émane de chacun d’eux est vivifiant. L’air glacé de la mer est lui aussi très vivifiant, c’est la raison pour laquelle tout le monde fonce à la Guinguette pour se tenir chaud, avec un concert du groupe Turfu, dont la sonorité ouvragée, mêlant accordéon et électro, nous a tous enflammés.
Vendredi, réveil difficile pour Trouville City : le compte à rebours de la clôture s’est enclenché. Les 24 heures suivantes furent aussi calmes qu’un meeting de Donald Trump sous acide. Ouvert de 10 h à 12 h pour les derniers acheteurs et distributeurs encore sur place, c’est d’abord au Marché du Film de faire ses adieux. Les ordinateurs et leur riche catalogue de films s’éteignent et les Cures Marines redeviennent ce qu’elles ont toujours été : un endroit inaccessible aux communs des mortels.
S’ensuit la dernière projection au Cinémobile, avec le programme « Politik », composé de courts métrages traitant de sujets sociétaux. Nous en reparlerons en détail, notamment avec le film Jeter l’ancre un seul jour, de Paul Marques Duarte. Sans avoir le temps de reprendre mon souffle, je reviens au Village, où l’événement interplanétaire que tout le monde attend avec impatience s’apprête à avoir lieu. Je fais bien évidemment référence à mon passage sur la Web TV du festival, accompagné de l’inénarrable Fairouz M’Silti, directrice de publication des Écrans Terribles depuis qu’elle a pris le pouvoir par la force en mai dernier. Cela donne lieu à 45 minutes durant lesquelles Fairouz m’interrompt sans cesse alors qu’elle n’a pas vu les films, tandis que je reviens sur ma semaine trouvillesque et sur les œuvres qui m’ont touché. Exercice difficile car les courts métrages sont tous très bons, chacun étant en soi une proposition de cinéma qui mérite qu’on s’y attarde. L’Histoire retiendra que j’avais vu juste sur presque tous les prix. Pour plus d’informations, composez le 6 12 12 en envoyant « Grand Oracle à Trouville ». Le Prix honorifique du Coup de Cœur Personnel d’Alexandre Lança a été décerné par moi-même au film Chien Bleu de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh.
Juste après notre passage sur la Web TV, le Jury de la Critique s’est réuni pour débattre publiquement des films et décerner le premier prix de la soirée. Cette intervention fut passionnante : en effet, il est très rare de pouvoir assister aux délibérations d’un jury, quel qu’il soit. C’est donc une grande opportunité que de pouvoir écouter les analyses des critiques, comprendre leur méthode de réflexion et partager leur point de vue. Après avoir retenu plusieurs courts métrages, le prix a été remis au film Uuquchiing de Kévin Noguès, pour sa proposition formelle étonnante et son discours poétique sur la solitude (un homme lunaire a régulièrement des absences et se retrouve projeté quelques heures plus tard dans son futur, sans se rappeler de rien).
Puis vint le moment fatidique de la cérémonie de clôture, au cœur du Village bondé. L’effervescence est palpable et assis sur ma chaise, je constate avec étonnement que je suis super stressé. On finit par s’attacher à ce festival et aux films, qu’on a envie de voir tous récompensés. Le palmarès complet est disponible sur le site du festival d’Off-Courts, mais retenons que l’un des grands gagnants de la soirée est encore Chien Bleu (Fanny Liatard, Jérémy Trouilh) qui a reçu le Prix Unifrance et le Prix de la Région Normandie. Une mention spéciale du jury a également été décernée à Pollux de Michael Dichter.
La dernière soirée endiablée commence à la désormais célèbre Guinguette, avec le concert du groupe bruxellois Juicy : tout le monde se déhanche comme des fous furieux, avant de migrer à la boîte du casino pour un nouveau concert électro. Frais comme une rose au matin, les festivaliers se défoulent après une semaine passée à travailler, échanger, vendre des films au Marché, découvrir les nouveaux talents et faire des rencontres.
A une heure avancée de la nuit (ou du matin), votre reporter sans frontières rentre dans sa chambre pour faire sa valise. Le temps des adieux déchirants est arrivé : il me faut quitter la côte normande, le regard fixé sur l’éternel va-et-vient des vagues de la mer, caressant le sable fin. Une larme chaude coule lentement sur ma joue, en imaginant votre terrible chagrin à l’idée de ne plus lire de nouvelles chroniques. Je sais ce qu’elles représentaient pour vous, seule étincelle de lumière dans votre gris et morose quotidien. Alors j’ai décidé de faire durer le plaisir en préparant quatre petits articles sur une thématique précise, que vous découvrirez la semaine prochaine !
Non, je vous en prie, ne me remerciez pas : vous le valez bien, et le festival Off-Courts aussi. Séchez vos larmes et haut les cœurs, je serai bientôt de retour.
Stay tuned !
Photo en Une : (c) Alexandre Lança