Top ciné 2018 : les choix de la rédaction
21 rédacteurs, 87 films, 1169 points distribués, 10 élus. Le cinéma, une affaire de mathématiques ? Non. Notre top 2018 n’est pas un top de raison. Il est le fruit d’une somme de regards croisés sur une année de films. La synthèse d’une rédaction qui défend encore une fois son indépendance et son envie de voir le cinéma de la marge rayonner auprès de la “majorité”.
C’est là que des cinéastes comme Luca Guadagnino s’expriment le mieux en totalisant plus de 300 000 entrées pour un sujet universel : celui de la naissance de l’amour, le temps suspendu d’un été. L’homosexualité n’est ici pas le noyau autour duquel Call me by your name tourne dans tous les sens pour en extraire un droit à la tolérance. Au contraire, le grand gagnant de notre modeste conjugaison de neurones ne considère l’amour que pour ce qu’il est, dans sa pureté et sa passion simple, dépouillé et seul horizon du récit. Plus charnelle, plus viscérale, plus obsessionnelle, la caméra de Kechiche, elle, a pour aimant le sexe. Elle le traque comme un prédateur poursuit sa proie. Tous les plans, toutes les discussions condamnent une galerie de jeunes adultes à leur statut d’animal sexué dont l’existence n’est guidé que par et pour le sexe. Sauf celle du héros de Mektoub, my love, le plus statufié, le plus idéal, jeune éphèbe perdu dans un monde de chasseurs. Un témoin au regard aiguisé et à la parole souvent apaisante. C’est un autre été qui gagne nos consciences pour ne plus les quitter, et fait de nous des adorateurs de ce temps figé, nostalgique, cette pause forcée qui invite à sublimer les sens et les désirs.
2018 a donc été une année d’amours, plus ou moins chastes, plus ou moins consommées, mais souvent aveugles à la différence. À l’image des marginaux de La forme de l’eau qui arriveront à reprendre la main sur leurs existences. Car un coup de foudre ne s’explique pas et la poésie de l’imaginaire fantasmagorique de Del Toro se fond dans chacun de ses plans, tout en dévoilant un autre amour souterrain, celui du 7ème Art, de son passé, de ses icônes. De ce besoin de grande romance, dont témoigne également l’élégance d’un Paul Thomas Anderson inspiré pour Phantom Thread, à celui de raconter des lignes plus obscures, le pas de côté est fait. Et un bilan de fin d’année se doit de saluer aussi d’autres tourments aussi puissants que celui de l’amour. Il s’agira pour Jongsu et Sam de partir en quête d’une disparue. Leurs parcours multiplient les faux semblants, la narration se perd dans un labyrinthe mental qui répond parfois plus au trouble compulsif qu’à l’envie rationnelle d’en déjouer les pièges. Burning et Under the Silver Lake ont en commun une volonté partagée de contourner les sentiers balisés, de dresser un portrait d’une génération qui cherche sa raison d’être autant que sa place dans le monde. C’est le fameux bâillement de Steven Yeun qui rappelle que même à sa place, on est parfois ailleurs.
De 2018, on retiendra aussi Leto, coup de coeur musical à la forme totalement libre, qui a su mettre un coup de pied dans la fourmilière redondante du “biopic” en faisant de la rock attitude le coeur de sa mise en scène. On n’oubliera pas non plus la prestation de Sam Rockwell dans 3 Billboards, ni celle de Toni Collette dans le fascinant premier film d’Ari Aster, Hérédité, qui parvient à remettre la maison de poupée au goût du jour. Pas le moindre de ses tours de force, dans des sentiers plus balisés mais avec une maîtrise des plus prometteuses pour la suite. Dans ces mêmes balises, Spielberg fut capable du meilleur comme du pire : le meilleur, le brûlot incarné Pentagon Papers, le pire, Ready Player One dont on préfère oublier les deux dernières heures. Bref, une année pleine, bienheureuse, tourmentée, amoureuse. Next ?
Romain Dubois
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