(This is) US
En pleine promo de Get Out, futur carton international et Oscar du meilleur scénario original, Jordan Peele avait déjà annoncé la sortie de son deuxième long métrage. Le réalisateur à la mode n’avait visiblement pas envie de se reposer sur ses lauriers. Du temps, il en faut en revanche pour parvenir à mesurer le poids politique de Us.
Get Out attaquait frontalement l’hypocrisie des démocrates américains et blancs à travers le film d’horreur social teinté d’humour noir. Jordan Peele a décidé cette fois-ci d’investir un sous-genre de l’horreur à la mode dans les années 1980 : le home invasion. Il en profite pour développer un propos politique plus subtil. Par conséquent, il est important de se pencher sur les hommages ou les messages que le réalisateur distille dès le début dans une intrigue assez complexe en apparence.
Dès les premières scènes, Jordan Peele semble vouloir embarquer le spectateur dans un drame familial qui débute au milieu des années 80. Le ton du film est radicalement différent de celui de Get Out : angle axé sur le traumatisme d’un enfant, images sombres… Le réalisateur veut bousculer le spectateur et prouver que US n’est pas un ersatz de son premier long métrage.
On observe pêle-mêle des hommages appuyés à Shining, Jaws ou les Goonies, avec parfois l’impression d’être devant un épisode de Stranger Things. Une chose vue et revue dans le cinéma d’horreur mais il est assez intéressant de voir comment Jordan Peele prendre un malin plaisir à brouiller les pistes et par conséquent, à mettre en place une intrigue complexe.
I Got 5 On It !
Mais US est également un hommage à la Bay Area californienne où le film se déroule. Plus précisément à Santa Monica : une zone en proie à une gentrification galopante depuis plusieurs années. Ce problème social hautement inflammable au sein de la communauté noire-américaine a donné lieu à une mode de films indépendants qui dénoncent ce phénomène. Sorry To Bother You de Boots Riley, sorti en 2017, ou bientôt The Last Man In San Francisco de Joe Talbot, par exemple. Par conséquent, si cette région du Nord de la Californie fut autrefois délaissée, elle reste un symbole majeur de la culture noire-américaine et notamment de l’histoire du rap à laquelle le réalisateur new-yorkais rend hommage avec “I Got 5 On It” de Luniz, groupe originaire d’Oakland. L’apparition de ce thème musical (formidablement remixé ensuite), surprenant pour un film d’horreur, permet de mettre en place un twist qui boucle l’excellente première partie du film.
Adelaide Wilson (Lupita Nyong’o), Jason Wilson (Evan Alex), Zora Wilson (Shahadi Wright Joseph) and Gabe Wilson (Winston Duke)
©2019 Universal Studios
US est un film de symboles qui construit un indéniable propos politique. Pour installer cet angle, la forme est plus alambiquée, moins évidente que Get Out. Le fait que la famille Wilson doive affronter ses Doppelgängers dans sa maison de vacances montre deux Amériques, l’une privilégiée, l’autre abandonnée, qui s’affrontent pour un seul but : accoucher du véritable Américain. Cet objectif qui anime la seconde partie du film est clairement une critique contre le Président Trump et sa politique migratoire répressive.
Avoir misé sur une famille “dark skinned” est aussi un symbole à prendre en compte. Pendant la formation du casting de US, Jordan Peele s’est demandé pourquoi Lupita Nyong’o, actrice noire d’origine kenyane (exceptionnelle dans le film), n’avait pas encore décroché un premier rôle à Hollywood malgré son triomphe aux Oscars pour le second rôle féminin dans 12 Years A Slave de Steve McQueen en 2014. Il n’a pas hésité une seule seconde pour lui donner le premier rôle et choisir un casting composé exclusivement d’acteurs noirs foncés. Un événement extrêmement rare à Hollywood et qui plus est dans un film d’horreur.
Un symbole politique
Néanmoins, une fois que ces enjeux symboliques sont mis en place, le mystère se dissipe et le film devient plus mécanique et épuré. Le propos politique si puissant de la première partie laisse place à une cavale interminable. Le twist final pour un spécialiste du genre a été maintes et maintes fois utilisé dans le passé (Funny Games de Michael Haneke). Mais il faut reconnaître que le but de Jordan Peele n’est pas là.
Le véritable combat du réalisateur est de banaliser les castings noirs dans les longs métrages populaires où les acteurs issus de minorités sont d’habitude invisibles. Son cinéma fourmille de symboles qui poussent à la réflexion et au débat. Très peu de films déchaînent autant les passions en 2019.
US. Un film écrit et réalisé par Jordan Peele. Avec : Lupita Nyong’o, Winston Duke, Shahadi Wright Joseph, Evan Alex, Elisabeth Moss, Tim Heidecker… Distribution : Universal Pictures. Durée : 1h56. Sortie France : 20 mars 2019.