The Mumbai Murders : La face sombre de Bombay
Sixième long métrage d’Anurag Kashyap présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en 2016, The Mumbai Murders prend source dans un terrible fait divers qui a secoué l’Inde dans les années 1960. Un thriller ultra-violent qui réfléchit la violence de l’Inde d’aujourd’hui, mais qui déçoit par ses trop nombreuses lourdeurs.
The Mumbai Murders s’inscrit dans la lignée du film noir, c’est un thriller haletant, un puzzle qui se construit durant la traque du tueur, un étau qui se referme petit à petit sur ses personnages principaux. Raman Raghav, alias « Psycho Raman », avait assassiné 41 individus dans les années 1960. Faute de moyens, confessera-t-il, le réalisateur indien n’opte pas pour la reconstitution, mais pour une transposition dans le Bombay de son époque. Ramana, interprété avec animalité par Nawazzudin Siddiqui, s’échappe de sa geôle au début du récit. Ce personnage marqué physiquement par une balafre et déchiré par la violence qui inonde son passé décide d’assouvir ses pulsions en tuant en série. Doté d’une paire de jumelles imaginaires, ce psychopathe surplombe la ville et surveille ses habitants, tout particulièrement Raghavan, le policier qui le traque. Un procédé qui interpelle le spectateur dans son rapport aux images, car rien n’est donné à voir alors même que le récit qui se déploie est d’une grande violence. L’usage intelligent du hors-champ culmine dans une scène anxiogène durant laquelle le tueur assassine méthodiquement et froidement sa sœur, le mari et le fils de celle-ci. Cette scène évoque le Funny Games du maître du hors-champs Michael Haneke. Sauf qu’ici, le tueur troque son club de golf pour un cric trouvé dans la rue (on pensera au Jack de Lars Von Trier). Et que la bande-son et les ralentis ôtent à sa scène sa subtilité…
La violence, reléguée derrière des portes fermées, témoigne de l’impuissance de ses victimes, et tout particulièrement des femmes, à appeler au secours. The Mumbai Murders fait figure de satire politique d’une Inde violente, misogyne et patriarcale. Une traversée de l’Inde d’aujourd’hui, qui prend corps dans une scène de course-poursuite dans un bidonville avec, en toile de fond, l’extrême dénuement de ses habitants. Le tueur en série se déplace dans une mégalopole fracturée entre les plus riches qui vont en boite et ont des employés sous leurs ordres, et des individus qui s’entassent dans les rues. Anurag Kashyap questionne les tabous qui, s’ils ont peu de place dans le cinéma indien, pèsent sur la société. Il se penche tout particulièrement sur la condition de la femme. Simmy, la « régulière » du flic, est contrainte à de multiples avortements car celui-ci refuse de se protéger, et est violemment menacée au moment où elle évoque la possibilité du mariage. Malgré ses velléités d’émancipation, la jeune femme reste finalement sous l’emprise de cet homme qui est lui-même écrasé par son propre père. Et le psychopathe, victime d’inceste, n’aura de cesse de se venger d’un passé irréparable. Le réalisateur s’attaque également à la religion et à ses excès. Le Mal n’est pas toujours niché où l’on pourrait le croire, on découvrira que le policier lui aussi est en proie à des pulsions violentes.
Un discours politique utile et une véritable volonté de dénonciation d’une société en crise qui, malheureusement, ne tient pas tout à fait la route formellement. Dès le générique d’ouverture, le trip halluciné sombre dans la lourdeur. Les codes bollywoodiens – bande-son tapageuse, ralentis, personnages excessifs – conjugués au thriller génèrent un objet hybride visuellement au bord du ridicule, dont le personnage du flic est un exemple. Homme désabusé, qui se dissimule derrière des lunettes teintées, il cache de nombreuses substances illicites dans son sac. Les failles de ce personnage archétypal se fissurent au fil du récit. Tout cela se termine dans un final trouble qui soulève la possibilité d’une romance entre les deux protagonistes masculins. Cette nouvelle piste achève d’exaspérer un spectateur accablé par un récit aux trop nombreux enjeux de société sous-jacents. Quant au découpage en chapitres, il renforce inutilement la longueur du film. Même s’il cherche l’humanité de chacun en s’attaquant à des personnages radicaux, le foisonnement et le manque de subtilité de The Mumbai Murders nous laissent un peu mitigés.
Réalisé par Anurag Kashyap. Avec : Nawazuddin Siddiqui, Vicky Kaushal, Sobhita Dhulipala. Thriller. Inde. 2016. Stray Dogs Distribution. Sortie : 21 novembre 2018.