Empathie Séries Mania
Séries Mania

Séries Mania 2025 : notre bilan de la Compétition Internationale

Pour cette nouvelle édition de Séries Mania, neuf séries étaient en lice, avec une fois encore, la part belle laissée à la création française et européenne. Une sélection par ailleurs toujours dominée par des sujets politiques et sociaux brûlants, au détriment de dramédies plus discrètes mais d’excellente facture. Tour d’horizon par le menu.

Comme souvent à travers sa compétition internationale depuis 2018 – il s’agit de sa septième édition lilloise, le festival ayant été annulé en 2020 – et même bien avant, à son époque parisienne, Séries Mania met en avant la dichotomie du rôle des séries au sein de la pop culture et aussi ses facteurs différenciants. Les séries demeurent à la fois le miroir de leur époque, et aussi une forme de thérapie et/ou de catharsis. Nul n’est plus représentatif de cette ligne éditoriale que cette édition : d’un côté, des déchirements diplomatiques ou intrafamiliaux autour d’une accusation de viols conjugaux, des chroniques d’un populiste italien qui nous prend par la main pour relater son ascension dans le fascisme. De l’autre, des études de personnage étayées, parfois doux-amers, souvent retors, où se jouent des défauts de communication, des troubles mentaux ou encore des blessures impossibles à panser. Petit tour d’horizon, du meilleur au moins bon – voire carrément au pire.

La meilleure représentante de l’étincelant pouvoir des séries à émouvoir, à être subtil et à donner la pleine mesure de sa qualité de manière presque subconsciente, c’est Empathie (Québec), repartie avec le prix du public. Créée par Florence Longpré, qui incarne aussi son premier rôle, elle suit le premier jour catastrophique d’une criminologue reconvertie en psychiatre et assignée à l’aile D d’une clinique psychiatrique de Montréal. La plus difficile, car regorgeant de cas jugés inaptes à la réinsertion sociale. Là aussi où sont accueillis des prisonniers incarcérés pour des crimes abominables. Sous l’œil de Mortimer (Thomas Ngijol dans un de ses premiers rôles dramatiques), elle va réussir à « aller » vers les patients et à gagner, sinon leur confiance, en tout cas un peu d’écoute.

Écrite avec l’assurance de vieux routiers (Longpré a aussi créé Audrey est revenue, primée à Canneséries), Empathie puise plus sa force dans la distillation : à travers l’onirisme, en liant le trauma de son héroïne à une troupe de ballerines qui la suit partout, ou de regards plein de mépris et/ou de cynisme du personnel soignant et de la société envers les cas particuliers, et rien n’est aisé. Ou confortable. Ou accessoirement feelgood. Empathie va chercher ses émotions loin, dans la combativité dont fait preuve son tandem central, souvent en improvisant, souvent en se cherchant. Une merveille qu’on espère voir bientôt en France.

Moins accessible sur la forme, plus visuellement ébouriffante, Mussolini : Son Of The Century est l’alliance de trois scénaristes, collaborateurs, entre autres, de Marco Bellocchio (Stefano Bises, Davide Serino et Antonio Scurati, ce dernier adaptant sa propre série de livres) et un réalisateur qu’on était loin d’attendre là : Joe Wright. Comme quelques films contemporains autour d’antihéros, la série prend le parti de voir son sujet s’adresser directement au public. En Benito Mussolini amoral, avide de pouvoir et de revanche, Luca Marinelli est de tous les plans, regard perçant et mâchoire coincée de petite frappe à la James Cagney. Et il promet, dès les premières minutes : « Venez avec moi, vous m’aimerez aussi. Vous aussi, deviendrez fascistes ! » Tract d’agit-prop sur la séduction du populisme, conçu alors que de plus en plus de pays européens passent aux mains de mouvements d’extrême-droite, Son Of The Century est un punching-ball rythmé par les beats stridents de Tom Rowlands, moitié de The Chemical Brothers que Joe Wright a emmené dans sa valise. Ce Benito se crashe, dévie de sa trajectoire, se remet en selle, s’époumone d’autant plus pour ouvrir grand la porte d’un Parlement italien au travers duquel il voit aussi clairement que de l’eau de roche. Aux antipodes d’un biopic Wikipédia, le parti pris de la série est de tous les plans, inspiré du cinéma muet des années 1930, montrant des bouches difformes vomissant des logorrhées verbales. C’est le projet le plus visuellement abouti de la sélection, avec des séquences proprement hallucinatoires d’un Milan sombre tournées à Cinecittà. Si la série risque de vite devenir lourdingue sur la durée, elle signale, en tout cas, une énergie punk rafraîchissante moins vue chez Joe Wright que chez un Danny Boyle ou un Terry Gilliam.

Querer Séries Mania

Querer © Nicolás de Assas

Reparti avec le Grand Prix décerné par le jury de Pamela Adlon (créatrice de l’excellente Better Things), Querer est une nouvelle entrée ibère de Movistar+, dont La Mesías avait fait sensation en Panorama International en 2024. Dévoilée en sélection à Saint-Sébastien, cette chronique d’un divorce initié discrètement par une quinquagénaire esseulée, Miren (Nagore Aranburu), traite avec une épure déconcertante la difficulté de la libération de la parole au sein d’une même famille. Dans une Bilbao blafarde et désaturée, ce personnage de mère, quasiment en silence, va peu à peu révéler l’enfer du viol conjugal subi pendant 20 ans. Et ce, face à des fils (dont Miguel Bernardeau, vu dans Zorro et Elite) souvent incrédules. Jouant sur le double sens en espagnol de « querer », autour d’aimer ou de vouloir (c’est-à-dire consentir), Querer trouve sa singularité dans la cruauté des silences et de l’isolation de son héroïne. Un K-O technique qui sera visible en juin sur Arte, qui l’a coproduite.

Parmi les entrées les plus attachantes de la compétition (et un des deux projets américains retenus dans ce cru 2025), Hal & Harper a confirmé la bonne réputation dont elle a fait preuve depuis son dévoilement à Sundance. Projet produit en totale indépendance, avec des noms connus qui donnent le meilleur d’eux-mêmes (Lili Reinhardt, qui troque ses habits de Betty dans Riverdale pour ceux d’une lesbienne qui a envie d’ailleurs), Hal & Harper est à la fois doux et surréaliste. Extrêmement accessible avec une bande-son pop que n’aurait pas renié MTV (s’ils produisaient encore des séries), ce portrait d’une fraternité névrosée qui va chercher les coups pour tuer le temps alors que leur vie part à la dérive s’avère attachant sur la longueur. Mais son créateur Cooper Raiff (aussi devant la caméra dans le rôle d’Hal) donne un autre beau rôle à Mark Ruffalo : celui d’un père dévasté et dépressif qui n’arrive pas à se pardonner d’avoir fait grandir ses enfants trop vite suite à une tragédie indicible. Au sein de la sélection, la série représente ces dramédies américaines courageusement produites mais en voie d’extinction (par exemple, Somebody Somewhere, récemment conclue dans la plus grande discrétion sur HBO). 

Hal & Harper Séries Mania

Hal & Harper © Doug Emmett/Small Ideas/Lionsgate

Autre projet familial, Generations est une grande série dramatique de la télé danoise suivant de multiples générations en porte-à-faux. Arte a diffusé plusieurs de ces spécimens scandinaves, dont Les Héritiers, qui a connu 4 saisons (et avait déjà été à Séries Mania en sélection). Le point de départ est bien plus noir : alors que les restes d’un bébé sont découverts dans un grenier familial, la grand-mère de 87 ans chez qui on a découvert la dépouille s’accuse de l’avoir tué. Un séisme pour sa petite-fille avocate et une autre de ses sœurs, elle-même enceinte. Alors que la vérité se fait jour très lentement, Generations enchaîne les lieux communs sur la maternité, les difficiles relations mères-filles et ne déclenche qu’un ennui poli, malgré un assez bon cachet de production. 

Seul représentant français de la compétition (The Deal étant une coproduction entre la RTS et Arte), Kaboul aborde un sujet d’actualité récente sous l’angle du thriller. Écrit par trois Français, Olivier Demangel, Joé Lavy et Thomas Finkielkraut, il relate les efforts de l’ambassade française et italienne en 2021 pour sortir hors du pays des Afghans ayant décroché un visa, alors que les Talibans reviennent au pouvoir et que les hôpitaux et tribunaux passent sous leur joug. Récit résolument choral, entre Afghans obligés de rester soigner des patients et diplomates mis à l’épreuve du feu par les circonstances, Kaboul arrive à ne pas ployer sous le poids de son ambition et montre un difficile accomplissement de la diplomatie sous des circonstances éprouvantes. Elle relate même une mission pour sauver un général afghan qui avait collaboré avec les services allemands sur place, et cède souvent – mais pas trop – aux sirènes de l’action à travers des courses-poursuites et des émeutes. La sincérité du projet aide à faire oublier un certain manque de séquences marquantes ou un quota émotionnel assez mitigé. Les 8 épisodes sont disponibles actuellement sur France.tv .

Si Hal & Harper représente une certaine idée de la production américaine, alors La Rivière des Disparues (Long Bright River) en représente une autre : le polar au féminin autour d’une enquête au kilomètre. Elle trahit probablement le regret des sélectionneurs de ne pas avoir pu présenter Mare Of Easttown à l’époque de sa diffusion. Amanda Seyfried, une policière habituée aux quartiers ravagés par la drogue de Kensington, a beaucoup de mal à s’imposer face à une enquête bien lisse et des effets de manche qui retardent des révélations concernant le passé de son héroïne, et les filiations de personnages, somme toute assez peu mystérieux. Ignorée par une hiérarchie à la limite de l’incompétence, le personnage de Seyfried entreprend de remonter les pistes de l’enquête elle-même. La Rivière des Disparues se noie dans des dialogues indigents, des personnages de flics soit mal dégrossis soit absents, et un suivisme autosatisfait. Après le « ni fait, ni à faire », le « déjà vu, à ne pas revoir ». La série est disponible dans son intégralité sur Max.

Inexplicablement reparti avec le prix du scénario, The German suit un pan peu connu de l’histoire : la traque de Josef Mengele par le Mossad. La série part de ces faits réels pour suivre Uri, un survivant d’Auschwitz (Oliver Masucci) qui a depuis refait sa vie avec Anna (Ania Buckstein), dont la famille est morte dans des camps de concentration. Mais une mission d’approche d’Allemands commanditée par son meilleur ami, agent du Mossad, va très vite faire resurgir un passé sombre pour Uri comme pour Anna. Faux récit d’espionnage mais vrai récit de déliquescence familiale – le fils, promis à un poste de pilote, va également receler un lourd secret dès le premier épisode – The German pèche justement par un scénario trop diffus au cours de ses deux premiers épisodes. Il est néanmoins porté par une interprétation convaincante d’Oliver Masucci.

Il fallait un intrus en compétition, c’est donc The Deal, pudding indigeste autour d’accords diplomatiques sur le nucléaire iranien, (sans doute fort) librement basés sur les vrais accords d’avril 2015. Galerie de diplomates américains et iraniens sur les dents, ainsi qu’Alexandra Weiss, cheffe de mission suisse auparavant basée à Téhéran (Veerle Baetens, bien peu inspirée d’être là), la situation va s’envenimer lorsqu’un ingénieur iranien, dépêché spécifiquement par le régime pour défendre la non-qualité militaire d’un certain site controversé… se trouve être l’ex d’Alexandra qu’elle n’a pas revu depuis son incarcération.

Amalgame de comédiens grotesques, de dialogues laissant entrevoir une conception douteuse de la diplomatie internationale, The Deal est un naufrage surjouant la tension et ne sachant que faire de son idée centrale : une interférence aux enjeux personnels pour une diplomate censée être médiatrice de l’accord. Malgré ses limites, Kaboul sait rendre crédibles ses personnages anglophones, dont Eric Dane en special guest star ; The Deal, elle, s’empêtre dans des tractations de seconde zone tout droit sorti d’un film de vidéoclub des années 1990. Une médiocrité assez inquiétante pour un projet qui bénéficiait pourtant d’un certain cachet.

Image en Une : Empathie © DR

Retrouvez notre couverture du Festival Séries Mania, année après année, dans notre section dédiée !

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